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un retour sur le passé.

idées plus généreuses, n’a-t-elle donc encouragé aucun autre voyageur depuis Samuel Hearne ?

— Elle l’a fait, madame, et c’est grâce à elle que le capitaine Franklin a pu exécuter son voyage de 1819 à 1822, précisément entre la rivière de Hearne et le cap Turnagain. Cette exploration ne s’opéra pas sans fatigues et sans souffrances. Plusieurs fois la nourriture manqua complètement aux voyageurs. Deux Canadiens, assassinés par leurs camarades, furent dévorés… Malgré tant de tortures, le capitaine Franklin n’en parcourut pas moins un espace de cinq mille cinq cent cinquante milles sur cette portion, inconnue jusqu’à lui, du littoral du North-Amérique.

— C’était un homme d’une rare énergie ! ajouta Mrs. Paulina Barnett, et il l’a bien prouvé quand, malgré tout ce qu’il avait déjà souffert, il s’élança de nouveau à la conquête du pôle Nord.

— Oui, répondit Jasper Hobson, et l’audacieux explorateur a trouvé sur le théâtre même de ses découvertes une cruelle mort ! Mais il est bien prouvé, maintenant, que tous les compagnons de Franklin n’ont pas péri avec lui. Beaucoup de ces malheureux errent certainement encore au milieu de ces solitudes glacées ! Ah ! vraiment, je ne puis songer à cet abandon terrible sans un serrement de cœur ! Un jour, madame, ajouta le lieutenant avec une émotion et une assurance singulières, un jour je fouillerai ces terres inconnues sur lesquelles s’est accomplie la funeste catastrophe, et…

— Et ce jour-là, répondit Mrs. Paulina Barnett en serrant la main du lieutenant, ce jour-là je serai votre compagne d’exploration. Oui ! cette idée m’est venue plus d’une fois, ainsi qu’à vous, monsieur Jasper, et mon cœur s’émeut comme le vôtre à la pensée que des compatriotes, des Anglais, attendent peut-être un secours…

— Qui viendra trop tard pour la plupart de ces infortunés, madame, mais qui viendra pour quelques-uns, soyez-en sûre !

— Dieu vous entende, monsieur Hobson ! répondit Mrs. Paulina Barnett. J’ajouterai que les agents de la Compagnie, vivant à proximité du littoral, me semblent mieux placés que tous autres pour tenter de remplir ce devoir d’humanité.

— Je partage votre opinion, madame, répondit le lieutenant, car ces agents sont, de plus, accoutumés aux rigueurs des continents arctiques. Ils l’ont souvent prouvé, d’ailleurs, en mainte circonstance. Ne sont-ce pas eux qui ont assisté le capitaine Black pendant son voyage de 1834, voyage qui nous a valu la découverte de la Terre du Roi Guillaume, cette terre sur laquelle s’est précisément accomplie la catastrophe de Franklin ? Est-ce que ce ne sont pas deux des nôtres, les courageux Dease et Simpson,