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le pays des fourrures.

à des détonations d’artillerie. Une pluie assez chaude, qui tomba pendant plusieurs jours, ne pouvait manquer d’activer la dissolution de la surface solidifiée de la mer.

Les oiseaux qui avaient abandonné l’île errante au commencement de l’hiver revinrent en grand nombre, ptarmigans, guillemots, puffins, canards, etc. Marbre et Sabine en tuèrent un certain nombre, dont quelques-uns portaient encore au cou le billet que le lieutenant et la voyageuse leur avaient confié quelques mois auparavant. Des bandes de cygnes blancs reparurent aussi et firent retentir les airs du son de leur éclatante trompette. Quant aux quadrupèdes, rongeurs et carnassiers, ils continuaient de fréquenter, suivant leur habitude, les environs de la factorerie, comme de véritables animaux domestiques.

Presque chaque jour, toutes les fois que l’état du ciel le permettait, le lieutenant Hobson prenait hauteur. Quelquefois même, Mrs. Paulina Barnett, devenue fort habile au maniement du sextant, l’aidait ou le remplaçait même dans ses observations. Il était très important, en effet, de constater les moindres changements qui se seraient effectués en latitude ou en longitude dans la position de l’île. La grave question des deux courants était toujours pendante, et de savoir si, après la débâcle, on serait emporté au sud ou au nord, voilà ce qui préoccupait par-dessus tout Jasper Hobson et Mrs. Paulina Barnett.

Il faut dire que cette vaillante femme montrait en tout et toujours une énergie supérieure à son sexe. Ses compagnons la voyaient chaque jour, bravant les fatigues, le mauvais temps, sous la pluie, sous la neige, opérant une reconnaissance de quelque partie de l’île, s’aventurant à travers l’icefield à demi décomposé ; puis, à son retour, réglant la vie intérieure de la factorerie, prodiguant ses soins et ses conseils, et toujours activement secondée par sa fidèle Madge.

Mrs. Paulina Barnett avait courageusement envisagé l’avenir, et des craintes qui l’assaillaient parfois, de certains pressentiments que son esprit ne pouvait dissiper, elle ne laissait jamais rien paraître. C’était toujours la femme confiante, encourageante que l’on connaît, et personne n’aurait pu deviner sous son humeur égale les vives préoccupations dont elle ne pouvait être exempte. Jasper Hobson l’admirait profondément.

Il avait aussi une entière confiance en Kalumah, et il s’en rapportait souvent à l’instinct naturel de la jeune Esquimaude, absolument comme un chasseur se fie à l’instinct de son chien. Kalumah, très intelligente, d’ailleurs, était familiarisée avec tous les incidents comme avec tous les phénomènes des régions polaires. À bord d’un baleinier, elle eût certainement remplacé avec avantage « l’icemaster », ce pilote auquel est spécia-