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une dernière exploration

saient à traverser, un bloc énorme, pesant plus de cent tonnes, se détacha du sommet de la barrière de glace et tomba sur l’icefield avec un épouvantable fracas. Le champ creva sous le choc et l’eau fut projetée à une grande hauteur. Fort heureusement, personne ne fut atteint par les fragments du bloc, qui éclata comme une bombe.

Depuis deux heures jusqu’à cinq, on suivit une vallée étroite, sinueuse, qui s’enfonçait dans la banquise. La traversait-elle dans toute sa largeur ? C’est ce que l’on ne pouvait savoir. La structure intérieure de la haute barrière put être ainsi examinée. Les blocs qui la composaient étaient rangés avec une plus grande symétrie que sur son revêtement extérieur. En plusieurs endroits apparaissaient des troncs d’arbres, engagés dans la masse, arbres non d’essence polaire, mais d’essence tropicale. Venus évidemment par le courant du Gulf-Stream jusqu’aux régions arctiques, ils avaient été repris par les glaces et retourneraient à l’Océan avec elles. On vit aussi quelques épaves, des restes de carènes et des membrures de bâtiments.

Vers cinq heures, l’obscurité, déjà assez grande, arrêta l’exploration. On avait fait deux milles environ dans la vallée, très encombrée et peu praticable, mais ses sinuosités empêchaient d’évaluer le chemin parcouru en droite ligne.

Jasper Hobson donna alors le signal de halte. En une demi-heure, Marbre et Sabine, armés de couteaux à neige, eurent creusé une grotte dans le massif. La petite troupe s’y blottit, soupa, et, la fatigue aidant, s’endormit presque aussitôt.

Le lendemain, tout le monde était sur pied à huit heures, et Jasper Hobson reprenait le chemin de la vallée pendant un mille encore, afin de reconnaître si elle ne traversait pas la banquise dans toute sa largeur. D’après la situation du soleil, sa direction, après avoir été vers le nord-est, semblait se rabattre vers le sud-est.

À onze heures, le lieutenant Hobson et ses compagnons débouchaient sur le revers opposé de la banquise. Ainsi donc, on n’en pouvait douter, le passage existait.

Toute cette partie orientale de l’icefield présentait le même aspect que sa portion occidentale. Même fouillis de glaces, même hérissement de blocs. Les icebergs et les hummocks s’étendaient à perte de vue, séparés par quelques parties planes, mais étroites, et coupés de nombreuses crevasses dont les bords étaient déjà en décomposition. C’était aussi la même solitude, le même désert, le même abandonnement. Pas un animal, pas un oiseau.

Mrs. Paulina Barnett, montée au sommet d’un hummock, resta pendant une heure à considérer ce paysage polaire, si triste au regard. Elle songeait,