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le pays des fourrures.

au-dessous de glace, et conséquemment la mer ne pouvait être prise. Toutes les portions durcies qui formaient la banquise et l’icefield étaient venues de latitudes plus hautes, et, en même temps, elles s’entretenaient par elles-mêmes, et se nourrissaient pour ainsi dire de leur propre froid ; mais cet espace méridional de la mer Arctique n’était pas uniformément gelé, et, de plus, il tombait une pluie chaude qui apportait avec elle de nouveaux éléments de dissolution.

Ce jour-là, le détachement fut absolument arrêté devant une crevasse, pleine d’une eau tumultueuse, semée de petites glaces, — crevasse qui ne mesurait pas plus de cent pieds de largeur, mais dont la longueur devait avoir plusieurs milles.

Pendant deux heures, on longea le bord occidental de cette entaille avec l’espérance d’en atteindre l’extrémité de manière à reprendre la direction vers l’est, mais ce fut en vain : il fallut s’arrêter. On fit donc halte et on organisa le campement.

Jasper Hobson, suivi du sergent Long, se porta en avant pendant un quart de mille, observant l’interminable crevasse, et maudissant la douceur de cet hiver qui lui faisait tant de mal.

« Il faut passer pourtant, dit le sergent Long, car nous ne pouvons demeurer en cet endroit.

— Oui, il faut passer, répondit le lieutenant Hobson, et nous passerons, soit que nous remontions au nord, soit que nous descendions au sud, puisque nous finirons évidemment par tourner cette entaille. Mais après celle-ci, d’autres se présenteront qu’il faudra tourner encore, et ce sera toujours ainsi, pendant des centaines de milles peut-être, tant que durera cette indécise et déplorable température !

— Eh bien, mon lieutenant, c’est ce qu’il faut reconnaître avant de continuer notre voyage, dit le sergent.

— Oui, il le faut, sergent Long, répondit résolument Jasper Hobson, ou nous risquerions, après avoir fait cinq ou six cents milles en détours et en crochets, de n’avoir même pas franchi la moitié de la distance qui nous sépare de la côte américaine. Oui ! il faut, avant d’aller plus loin, reconnaître la surface de l’icefield, et c’est ce que je vais faire ! »

Puis, sans ajouter une parole, Jasper Hobson se déshabilla, se jeta dans cette eau à demi glacée, et, vigoureux nageur, en quelques brasses il eut atteint l’autre bord de l’entaille, puis il disparut dans l’ombre au milieu des icebergs.

Quelques heures plus tard, Jasper Hobson, épuisé, rentrait au campement, où le sergent l’avait précédé. Il prit le sergent à part et lui fit connaître, ainsi qu’à Mrs. Paulina Barnett, que le champ de glace était impraticable.