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le pays des fourrures.

fallait que ses amis fussent, à tout prix, prévenus de leur situation, que, pour eux, il serait peut-être encore temps d’agir, que chaque heure perdue les éloignait de ce continent…

Elle n’hésita pas. Son kayak était là, cette frêle embarcation sur laquelle elle avait plus d’une fois bravé les tempêtes de la mer Arctique. Elle poussa son kayak à la mer, laça autour de sa ceinture la veste de peau de phoque qui s’y rattachait, et, la pagaie à la main, elle s’aventura dans les ténèbres.

À ce moment de son récit, Mrs. Paulina Barnett pressa affectueusement sur son cœur la jeune Kalumah, la courageuse enfant, et Madge pleura en l’écoutant.

Kalumah, lancée sur ces flots irrités, se trouva alors plutôt aidée que contrariée par la saute du vent qui portait au large. Elle se dirigea vers la masse qu’elle apercevait encore confusément dans l’ombre. Les lames couvraient en grand son kayak, mais elles ne pouvaient rien contre l’insubmersible embarcation, qui flottait comme une paille à la crête des lames. Plusieurs fois elle chavira, mais un coup de pagaie la retourna toujours.

Enfin, après une heure d’efforts, Kalumah distingua plus distinctement l’île errante. Elle ne doutait plus d’arriver à son but, car elle en était à moins d’un quart de mille !

C’est alors qu’elle jeta dans la nuit ce cri que Jasper Hobson et le sergent Long entendirent tous deux !

Mais alors, Kalumah se sentit, malgré elle, emportée dans l’ouest par un irrésistible courant, auquel elle offrait plus de prise que l’île Victoria ! En vain voulut-elle lutter avec sa pagaie ! Sa légère embarcation filait comme une flèche. Elle poussa de nouveaux cris qui ne furent point entendus, car elle était déjà loin, et quand l’aube vint jeter quelque clarté dans l’espace, les terres de la Nouvelle-Georgie qu’elle avait quittées et celles de l’île errante qu’elle poursuivait, ne formaient plus que deux masses confuses à l’horizon.

Désespéra-t-elle alors, la jeune indigène ? Non. Revenir au continent américain était désormais impossible. Elle avait vent debout, un vent terrible, ce même vent qui, repoussant l’île, allait en trente-six heures la reporter de deux cents milles au large, aidé d’ailleurs par le courant du littoral.

Kalumah n’avait qu’une ressource : gagner l’île en se maintenant dans le même courant qu’elle et dans ces mêmes eaux qui l’entraînaient irrésistiblement !

Mais, hélas ! les forces trahirent le courage de la pauvre enfant ! La faim