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le pays des fourrures.

Mais, au-delà de cette baie, au nord, rien ! La côte, par une ligne droite, se rabaissait vers le sud-est. Plus de cap Esquimau, plus de cap Bathurst !

Kalumah comprit ce qui s’était passé ! Ou tout ce territoire, devenu depuis l’île Victoria, s’était abîmé dans les flots, ou il s’en allait errant par les mers !

Kalumah pleura en ne retrouvant plus ceux qu’elle venait chercher si loin.

Mais l’Esquimau, son beau-frère, n’avait point paru autrement surpris de cette catastrophe. Une sorte de légende, une tradition répandue parmi les tribus nomades de l’Amérique septentrionale, disait que ce territoire du cap Bathurst s’était rattaché au continent depuis des milliers de siècles, mais qu’il n’en faisait pas partie, et qu’un jour il s’en détacherait par un effort de la nature. De là cette surprise que les Esquimaux avaient manifestée en voyant la factorerie fondée par le lieutenant Hobson au pied même du cap Bathurst. Mais, avec cette déplorable réserve particulière à leur race, peut-être aussi poussés par ce sentiment qu’éprouve tout indigène pour l’étranger qui fait prise de possession en son pays, les Esquimaux ne dirent rien au lieutenant Hobson, dont l’établissement était alors achevé. Kalumah ignorait cette tradition, qui, d’ailleurs, ne reposant sur aucun document sérieux, n’était sans doute qu’une de ces nombreuses légendes de la cosmogonie hyperboréenne, et c’est pourquoi les hôtes du fort Espérance ne furent pas prévenus du danger qu’ils couraient à s’établir sur ce territoire.

Et certainement, Jasper Hobson, averti par les Esquimaux et suspectant déjà ce sol, qui présentait des particularités si étranges, aurait cherché plus loin un terrain nouveau — inébranlable, cette fois, — pour y jeter les fondements de sa factorerie.

Lorsque Kalumah eut constaté la disparition de ce territoire du cap Bathurst, elle continua son exploration jusqu’au-delà de la baie Washburn, mais sans rencontrer aucune trace de ceux qu’elle cherchait, et alors, désespérée, elle n’eut plus qu’à revenir dans l’ouest aux pêcheries de l’Amérique russe.

Son beau-frère et elle quittèrent donc la baie des Morses dans les derniers jours du mois de juin. Ils reprirent la route du littoral, et, à la fin de juillet, après cet inutile voyage, ils retrouvaient les établissements de la Nouvelle-Georgie.

Kalumah n’espérait plus jamais revoir ni Mrs. Paulina Barnett, ni ses compagnons du fort Espérance. Elle les croyait engloutis dans les abîmes de la mer Arctique.