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un feu et un cri.

retombées des lames qui déferlaient avec un épouvantable bruit, et même, plus d’une fois, ils sentirent le sol, évidemment aminci, trembler à leur choc. Enfin, se tenant par la main pour ne point s’égarer, se soutenant, se relevant quand l’un d’eux buttait contre quelque obstacle, ils arrivèrent à la lisière opposée de la futaie.

Mais là, un tourbillon les arracha l’un à l’autre. Ils furent violemment séparés, et, chacun de son côté, jetés à terre.

« Sergent ! sergent ! où êtes-vous ? cria Jasper Hobson de toute la force de ses poumons.

— Présent, mon lieutenant ! » hurla le sergent Long.

Puis, rampant tous deux sur le sol, ils essayèrent de se rejoindre. Mais il semblait qu’une main puissante les clouât sur place. Enfin, après des efforts inouïs, ils parvinrent à se rapprocher, et, pour prévenir toute séparation ultérieure, ils se lièrent l’un l’autre par la ceinture ; puis ils rampèrent sur le sable, de manière à gagner une légère intumescence que dominait un maigre bouquet de sapins. Ils y arrivèrent enfin, et là, un peu abrités, ils creusèrent un trou dans lequel ils se blottirent, exténués, rompus, brisés !

Il était onze heures et demie du soir.

Jasper Hobson et son compagnon demeurèrent ainsi pendant plusieurs minutes sans prononcer une parole. Les yeux à demi clos, ils ne pouvaient plus remuer, et une sorte de torpeur, d’irrésistible somnolence, les envahissait, pendant que la bourrasque secouait au-dessus d’eux les sapins qui craquaient comme les os d’un squelette. Toutefois, ils résistèrent au sommeil, et quelques gorgées de brandevin, puisées à la gourde du sergent, les ranimèrent à propos.

« Pourvu que ces arbres tiennent, dit le lieutenant Hobson.

— Et pourvu que notre trou ne s’en aille pas avec eux ! ajouta le sergent en s’arc-boutant dans ce sable mobile.

— Enfin, puisque nous voilà ici, dit Jasper Hobson, à quelques pas seulement du cap Michel, puisque nous sommes venus pour regarder, regardons ! Voyez-vous, sergent Long, j’ai comme un pressentiment que nous ne sommes pas loin de la terre ferme, mais enfin ce n’est qu’un pressentiment ! »

Dans la position qu’ils occupaient, les regards du lieutenant et de son compagnon auraient embrassé les deux tiers de l’horizon du sud, si cet horizon eût été visible. Mais, en ce moment, l’obscurité était absolue, et, à moins qu’un feu n’apparût, ils se voyaient obligés d’attendre le jour pour avoir connaissance d’une côte, dans le cas où l’ouragan les aurait suffisamment rejetés dans le sud.