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le pays des fourrures.

icefields, longs de cent milles et larges de cinquante. Le capitaine Kellet abandonna même son navire sur un champ de glace qui ne mesurait pas moins de trois cents milles carrés. Qu’était, en comparaison, l’île Victoria ?

Cependant, sa grandeur devait être suffisante pour qu’elle résistât jusqu’aux froids de l’hiver, avant que les courants d’eau plus chaude eussent dissous sa base. Jasper Hobson ne faisait aucun doute à cet égard, et, il faut le dire, il n’était désespéré que de voir tant de peines inutiles, tant d’efforts perdus, tant de plans détruits, et son rêve, si prêt à se réaliser, tout à vau-l’eau. On conçoit qu’il ne pût prendre aucun intérêt aux travaux actuels. Il laissait faire, voilà tout !

Mrs. Paulina Barnett, elle, faisait, suivant l’expression usitée, contre fortune bon cœur. Elle encourageait le travail de ses compagnes et y participait même, comme si l’avenir lui eût appartenu. Ainsi, voyant avec quel intérêt Mrs. Joliffe s’occupait de ses semailles, elle l’aidait journellement par ses conseils. L’oseille et les chochléarias avaient fourni une belle récolte, et cela grâce au caporal, qui, avec le sérieux et la ténacité d’un mannequin, défendait les terrains ensemencés contre des milliers d’oiseaux de toutes sortes.

La domestication des rennes avait parfaitement réussi. Plusieurs femelles avaient mis bas, et le petit Michel fut même en partie nourri avec du lait de renne. Le total du troupeau s’élevait alors à une trentaine de têtes. On menait paître ces animaux sur les parties gazonneuses du cap Bathurst, et on faisait provision de l’herbe courte et sèche, qui tapissait les talus, pour les besoins de l’hiver. Ces rennes, déjà très familiarisés avec les gens du fort, très faciles d’ailleurs à domestiquer, ne s’éloignaient pas de l’enceinte, et quelques-uns avaient été employés au tirage des traîneaux pour le transport du bois.

En outre, un certain nombre de leurs congénères, qui erraient aux alentours de la factorerie, se laissèrent prendre au traquenard creusé à mi-chemin du fort et du port Barnett. On se rappelle que, l’année précédente, ce traquenard avait servi à la capture d’un ours gigantesque. Pendant cette saison, ce furent des rennes qui tombèrent fréquemment dans ce piège. La chair de ceux-ci fut salée, séchée et conservée pour l’alimentation future. On prit au moins une vingtaine de ces ruminants, que l’hiver devait bientôt ramener vers des régions moins élevées en latitude.

Mais, un jour, par suite de la conformation du sol, le traquenard fut mis hors d’usage, et, le 5 août, le chasseur Marbre, revenant de le visiter, aborda Jasper Hobson, en lui disant d’un ton assez singulier :

« Je reviens de faire ma visite quotidienne au traquenard, mon lieutenant.