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un campement de nuit.

Le campement fut donc reporté à une centaine de pieds en arrière du littoral, sur une petite extumescence où poussaient quelques bouquets isolés de pins et de bouleaux, dont l’agglomération ne méritait certainement pas la qualification de taillis. Un feu pétillant de branches mortes fut allumé vers dix heures du soir, au moment où le soleil rasait les bords de cet horizon au-dessous duquel il n’allait disparaître que pendant quelques heures.

Le sergent Long eut là une belle occasion de sécher ses jambes, et il ne la manqua pas. Jasper Hobson et lui causèrent jusqu’au moment où le crépuscule remplaça la lumière du jour. Mrs. Paulina Barnett prenait de temps en temps part à la conversation et cherchait à distraire le lieutenant de ses idées un peu sombres. Cette belle nuit, très étoilée au zénith, comme toutes les nuits polaires, était propice d’ailleurs à un apaisement de l’esprit. Le vent murmurait à travers les sapins. La mer semblait dormir sur le littoral. Une houle très allongée gonflait à peine sa surface et venait expirer sans bruit à la lisière de l’île. Pas un cri d’oiseau dans l’air, pas un vagissement sur la plaine. Quelques crépitements des souches de sapins s’épanouissant en flammes résineuses, puis, à de certains intervalles, le murmure des voix qui s’envolaient dans l’espace, troublaient seuls, en le faisant paraître sublime, ce silence de la nuit.

« Qui pourrait croire, dit Mrs. Paulina Barnett, que nous sommes ainsi emportés à la surface de l’Océan ! En vérité, monsieur Hobson, il me faut un certain effort pour me rendre à l’évidence, car cette mer nous paraît absolument immobile, et, cependant, elle nous entraîne avec une irrésistible puissance !

— Oui, madame, répondit Jasper Hobson, et j’avouerai que si le plancher de notre véhicule était solide, si la carène ne devait pas tôt ou tard manquer au bâtiment, si sa coque ne devait pas s’entrouvrir un jour ou l’autre, et enfin si je savais où il me mène, j’aurais quelque plaisir à flotter ainsi sur cet Océan.

— En effet, monsieur Hobson, reprit la voyageuse, est-il un mode de locomotion plus agréable que le nôtre ? Nous ne nous sentons pas aller. Notre île a précisément la même vitesse que celle du courant qui l’emporte. N’est-ce pas le même phénomène que celui qui accompagne un ballon dans l’air ? Puis, quel charme ce serait de voyager ainsi avec sa maison, son jardin, son parc, son pays lui-même ! Une île errante, mais j’entends une véritable île, avec une base solide, insubmersible, ce serait véritablement le plus confortable et le plus merveilleux véhicule que l’on pût imaginer. On a fait des jardins suspendus, dit-on ? Pourquoi, un jour, ne ferait-on pas des parcs flottants qui nous transporteraient à tous les points