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le pays des fourrures.

semblaient comprendre qu’ils n’avaient aucun coup de fusil à redouter. Jasper Hobson entrevit aussi quelques castors, errant à l’aventure et fort désorientés, sans doute, depuis la disparition de la petite rivière. Sans huttes pour s’abriter, sans cours d’eau pour y construire leur village, ils étaient destinés à périr par le froid, dès que les grandes gelées se feraient sentir. Le sergent Long reconnut également une bande de loups qui couraient à travers la plaine.

On pouvait donc croire que tous les animaux de la ménagerie polaire étaient emprisonnés sur l’île flottante, et que les carnassiers, lorsque l’hiver les aurait affamés — puisqu’il leur était interdit d’aller chercher leur nourriture sous un climat plus doux, — deviendraient évidemment redoutables pour les hôtes du fort Espérance.

Seuls — et il ne fallait pas s’en plaindre, — les ours blancs semblaient manquer à la faune de l’île. Toutefois, le sergent crut apercevoir confusément, à travers un bouquet de bouleaux, une masse blanche, énorme, qui se mouvait lentement ; mais, après un examen plus rigoureux, il fut porté à croire qu’il s’était trompé.

Cette partie du littoral, qui confinait à la baie des Morses, était généralement peu élevée au-dessus du niveau de la mer. Quelques portions même affleuraient la nappe liquide, et les dernières ondulations des lames couraient en écumant à leur surface, comme si elles se fussent développées sur une grève. Il était à craindre qu’en cette partie de l’île, le sol ne se fût abaissé depuis quelque temps seulement, mais les points de contrôle manquaient et ne permettaient pas de reconnaître cette modification et d’en déterminer l’importance. Jasper Hobson regretta de n’avoir pas, avant son départ, établi des repères aux environs du cap Bathurst, qui lui eussent permis de noter les divers abaissements et affaissements du littoral. Il se promit de prendre cette précaution à son retour.

Cette exploration, on le comprend, ne permettait, ni au lieutenant, ni au sergent, ni à la voyageuse, de marcher rapidement. Souvent on s’arrêtait, on examinait le sol, on recherchait si quelque fracture ne menaçait pas de se produire sur le rivage, et parfois les explorateurs durent se porter jusqu’à un demi-mille à l’intérieur de l’île. En de certains points, le sergent prit la précaution de planter des branches de saule ou de bouleau, qui devaient servir de jalons pour l’avenir, surtout en ces portions plus profondément affouillées, et dont la solidité semblait problématique. Il serait, dès lors, aisé de reconnaître les changements qui pourraient se produire.

Cependant on avançait, et, vers trois heures après midi, la baie des Morses ne se trouvait plus qu’à trois milles dans le sud. Jasper Hobson