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où l’on est.

— Mais sans doute, répondit Jasper Hobson, entre ce courant du Kamtchatka et le littoral, probablement dans une sorte de vaste remous qui doit exister sur la côte.

— Cela ne peut être, monsieur Hobson, répondit vivement Mrs. Paulina Barnett.

— Cela ne peut être ? répéta le lieutenant. Et pour quelle raison, madame ?

— Parce que l’île Victoria, prise dans un remous, et, par conséquent, sans direction fixe, eût certainement obéi à un mouvement de rotation quelconque. Or, puisque son orientation n’a pas changé depuis trois mois, c’est que cela n’est pas.

— Vous avez raison, madame, répondit Jasper Hobson. Vous comprenez parfaitement ces choses et je n’ai rien à répondre à votre observation, — à moins toutefois qu’il n’existe quelque courant inconnu qui ne soit point encore porté sur cette carte. Vraiment, cette incertitude est affreuse. Je voudrais être à demain pour être définitivement fixé sur la situation de l’île.

— Demain arrivera », répondit Madge.

Il n’y avait donc plus qu’à attendre. On se sépara. Chacun reprit ses occupations habituelles. Le sergent Long prévint ses compagnons que le départ pour le fort Reliance, fixé au lendemain, n’aurait pas lieu. Il leur donna pour raison que, toute réflexion faite, la saison était trop avancée pour permettre d’atteindre la factorerie avant les grands froids, que l’astronome se décidait à subir un nouvel hivernage, afin de compléter ses observations météorologiques, que le ravitaillement du fort Espérance n’était pas indispensable, etc., — toutes choses dont ces braves gens se préoccupaient peu.

Une recommandation spéciale fut faite aux chasseurs par le lieutenant Hobson, la recommandation d’épargner désormais les animaux à fourrures, dont il n’avait que faire, mais de se rabattre sur le gibier comestible, afin de renouveler les réserves de la factorerie. Il leur défendit aussi de s’éloigner du fort de plus de deux milles, ne voulant pas que Marbre, Sabine ou autres chasseurs se trouvassent inopinément en face d’un horizon de mer, là où se développait, il y a quelques mois, l’isthme qui réunissait la presqu’île Victoria au continent américain. Cette disparition de l’étroite langue de terre eût, en effet, dévoilé la situation.

Cette journée parut interminable au lieutenant Hobson. Il retourna plusieurs fois au sommet du cap Bathurst, seul ou accompagné de Mrs. Paulina Barnett. La voyageuse, âme vigoureusement trempée, ne s’effrayait aucunement. L’avenir ne lui paraissait pas redoutable. Elle plaisanta même en disant à Jasper Hobson que cette île errante, qui les portait alors,