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où l’on est.

La seule chance défavorable — et le lieutenant insista particulièrement sur ce point, — c’était que pendant huit à neuf semaines encore, avant la solidification de la mer Arctique, l’île Victoria fût entraînée trop au nord ou trop au sud. Et l’on voit, en effet, dans les récits des hiverneurs, des exemples de dérives qui se sont accomplies sur un très long espace et sans qu’on ait pu les enrayer.

Tout dépendait donc des courants inconnus qui s’établissaient à l’ouvert du détroit de Behring, et il importait de relever avec soin leur direction sur la carte de l’océan Arctique. Jasper Hobson possédait une de ces cartes, et il pria Mrs. Paulina Barnett, Madge, l’astronome et le sergent de le suivre dans sa chambre ; mais avant de quitter le sommet du cap Bathurst, il leur recommanda encore une fois le secret le plus absolu sur la situation actuelle.

« La situation n’est pas désespérée, tant s’en faut, ajouta-t-il, et, par conséquent, je trouve inutile de jeter le trouble dans l’esprit de nos compagnons, qui ne feraient peut-être pas comme nous la part des bonnes et des mauvaises chances.

— Cependant, fit observer Mrs. Paulina Barnett, ne serait-il pas prudent de construire dès maintenant une embarcation assez grande pour nous contenir tous, et qui pût tenir la mer pendant une traversée de quelques centaines de milles ?

— Cela sera prudent, en effet, répondit le lieutenant Hobson, et nous le ferons. J’imaginerai quelque prétexte pour commencer ce travail sans retard, et je donnerai des ordres en conséquence au maître charpentier pour qu’il procède à la construction d’une embarcation solide. Mais, pour moi, ce mode de rapatriement ne devra être qu’un pis aller. L’important, c’est d’éviter de se trouver sur l’île au moment de la dislocation des glaces, et nous devrons tout faire pour gagner à pied le continent, dès que l’Océan aura été solidifié par l’hiver. »

C’était, en effet, la meilleure façon de procéder. Il fallait au moins trois mois pour qu’une embarcation de trente à trente-cinq tonneaux fût construite, et, à ce moment, on ne pourrait s’en servir, puisque la mer ne serait plus libre. Mais si alors le lieutenant pouvait rapatrier la petite colonie en la guidant à travers le champ de glace jusqu’au continent, ce serait un heureux dénouement de la situation, car embarquer tout son monde à l’époque de la débâcle serait un expédient fort périlleux. C’était donc avec raison que Jasper Hobson regardait ce bateau projeté comme un pis aller, et son opinion fut partagée de tous.

Le secret fut de nouveau promis au lieutenant Hobson, qui était le meilleur juge de la question ; et quelques minutes plus tard, après avoir quitté