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un fort flottant.

tenant Hobson. Toute cette presqu’île Victoria n’est plus qu’une île de glace. Le tremblement de terre l’a détachée du littoral américain, et maintenant un des grands courants arctiques l’entraîne !…

— Où ? demanda le sergent Long.

— Où il plaira à Dieu ! » répondit Jasper Hobson.

Les compagnons du lieutenant demeurèrent silencieux. Leurs regards se portèrent involontairement vers le sud, au-delà des vastes plaines, du côté de l’isthme rompu, mais de la place qu’ils occupaient, sauf vers le nord, ils ne pouvaient apercevoir l’horizon de mer qui maintenant les entourait de toutes parts. Si le cap Bathurst eût mesuré quelques centaines de pieds de plus au-dessus du niveau de l’Océan, le périmètre de leur domaine serait nettement apparu à leurs yeux, et ils auraient vu qu’il s’était changé en île.

Une vive émotion leur serra le cœur, à la vue du fort Espérance et de ses habitants, entraînés au large de toute terre, et devenus avec lui le jouet des vents et des flots.

« Ainsi, monsieur Hobson, dit alors Mrs. Paulina Barnett, ainsi s’expliquent toutes les singularités inexplicables que vous aviez observées sur ce territoire ?

— Oui, madame, répondit le lieutenant, tout s’explique. Cette presqu’île Victoria, île maintenant, que nous croyions, que nous devions croire inébranlablement fixée sur sa base, n’était qu’un vaste glaçon, soudé depuis des siècles au continent américain. Peu à peu, le vent y a jeté la terre, le sable, et semé ces germes qui ont produit les bois et les mousses. Les nuages lui ont versé l’eau douce du lagon et de la petite rivière. La végétation l’a transformée ! Mais sous ce lac, sous cette terre, sous ce sable, sous nos pieds enfin, il existe un sol de glace qui flotte sur la mer, en raison de sa légèreté spécifique. Oui ! c’est un glaçon qui nous porte et qui nous emporte, et voilà pourquoi, depuis que nous l’habitons, nous n’avons trouvé ni un caillou, ni une pierre à sa surface ! Voilà pourquoi ses rivages étaient coupés à pic, pourquoi, lorsque nous avons creusé le piège à rennes, la glace est apparue à dix pieds au-dessous du sol, pourquoi, enfin, la marée était insensible sur ce littoral, puisque le flux et le reflux soulevaient et abaissaient toute la presqu’île avec eux !

— Tout s’explique, en effet, monsieur Hobson, répondit Mrs. Paulina Barnett, et vos pressentiments ne vous ont pas trompé. Je vous demanderai, cependant, à propos de ces marées, pourquoi, nulles maintenant, elles étaient encore légèrement sensibles à notre arrivée au cap Bathurst ?

— Précisément, madame, répondit le lieutenant Hobson, parce que, à