Page:Verne - Le Pays des fourrures.djvu/191

Cette page a été validée par deux contributeurs.
181
les grands ours polaires.

Il était évident que les ours, après avoir arraché un des chevrons de la toiture, avaient forcé l’entrée du grenier.

« Que personne ne quitte sa place ! dit le lieutenant d’une voix calme. — Raë, la trappe ! »

Le forgeron s’élança vers le couloir, gravit l’échelle et assujettit la trappe solidement.

On entendait un bruit épouvantable au-dessus du plafond, qui semblait fléchir sous le poids des ours. C’étaient des grognements, des coups de pattes, des coups de griffes formidables !

Cette invasion changeait-elle la situation ? Le mal était-il aggravé ou non ? Jasper Hobson et quelques-uns de ses compagnons se consultèrent à ce sujet. La plupart pensaient que leur situation s’était améliorée. Si les ours se trouvaient tous réunis dans ce grenier — ce qui paraissait probable –, peut-être était-il possible de les attaquer dans cet étroit espace, sans avoir à craindre que le froid n’asphyxiât les combattants ou ne leur arrachât les armes de la main. Certes, une attaque corps à corps avec ces carnassiers était extrêmement périlleuse ; mais enfin, il n’y avait plus impossibilité physique à la tenter.

Restait donc à décider si l’on irait ou non combattre les assaillants dans le poste qu’ils occupaient, opération difficile et d’autant plus dangereuse, que, par l’étroite trappe, les soldats ne pouvaient pénétrer qu’un à un dans le grenier.

On comprend donc que Jasper Hobson hésitât à commencer l’attaque. Toute réflexion faite, et de l’avis du sergent et autres dont la bravoure était indiscutable, il résolut d’attendre. Peut-être un incident se produirait-il qui accroîtrait les chances ? Il était presque impossible que les ours pussent déplacer les poutres du plafond, bien autrement solides que les chevrons de la toiture. Donc, impossibilité pour eux de descendre dans les chambres du rez-de-chaussée.

On attendit. La journée s’acheva. Pendant la nuit, personne ne put dormir, tant ces enragés firent de tapage !

Le lendemain, vers neuf heures, un nouvel incident vint compliquer la situation et obliger le lieutenant Hobson à agir.

On sait que les tuyaux des cheminées du poêle et du fourneau de la cuisine traversaient le grenier dans toute sa hauteur. Ces tuyaux, construits en briques de chaux et imparfaitement cimentés, pouvaient difficilement résister à une pression latérale. Or, il arriva que les ours, soit en s’attaquant directement à cette maçonnerie, soit en s’y appuyant pour profiter de la chaleur des foyers, la démolirent peu à peu. On entendit des morceaux de briques tomber à l’intérieur, et bientôt les poêles et le fourneau ne tirèrent plus.