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une visite de voisinage.

chair d’amphibie qui forme la nourriture principale des Esquimaux, cette atmosphère était écœurante. Madge ne put y tenir et sortit presque aussitôt. Mrs. Paulina Barnett montra un courage surhumain pour ne point chagriner la jeune indigène et prolongea sa visite pendant cinq grandes minutes, — cinq siècles ! Les deux enfants et leur mère étaient là. Quant aux deux hommes, la chasse aux morses les avait entraînés à quatre ou cinq milles de leur campement.

Mrs. Paulina Barnett, une fois sortie de la hutte, aspira avec ivresse l’air froid du dehors, qui ramena les couleurs sur sa figure un peu pâlie.

« Eh bien, madame ? lui demanda le lieutenant, que dites-vous des maisons esquimaudes ?

— L’aération y laisse à désirer ! » répondit simplement Mrs. Paulina Barnett.

Pendant huit jours, cette intéressante famille indigène demeura campée en cet endroit. Sur vingt-quatre heures, les deux Esquimaux en passaient douze à la chasse aux morses. Ils allaient, avec une patience que les huttiers pourront seuls comprendre, guetter les amphibies sur le bord de ces trous par lesquels ils venaient respirer à la surface de l’icefield. Le morse apparaissait-il, une corde à nœud coulant lui était jetée autour des pectorales, et, non sans peine, les deux indigènes le hissaient sur-le-champ et le tuaient à coups de hache. Véritablement, c’était plutôt une pêche qu’une chasse. Puis le grand régal consistait à boire le sang chaud des amphibies dont les Esquimaux s’enivrent avec volupté.

Chaque jour, Kalumah, malgré la basse température, se rendait au fort Espérance. Elle prenait un extrême plaisir à parcourir les différentes chambres de la maison, regardant coudre, suivant tous les détails des manipulations culinaires de Mrs. Joliffe. Elle demandait le nom anglais de chaque chose et causait pendant des heures entières avec Mrs. Paulina Barnett, si le mot « causer » peut s’employer quand il s’agit d’un échange de mots longtemps cherchés de part et d’autre. Quand la voyageuse faisait la lecture à haute voix, Kalumah l’écoutait avec une extrême attention, bien qu’elle ne la comprît certainement point.

Kalumah chantait aussi, d’une voix assez douce, des chansons d’un rythme singulier, chansons froides, glaciales, mélancoliques et d’une coupe étrange. Mrs. Paulina Barnett eut la patience de traduire une de ces « sagas » groënlandaises, curieux échantillon de la poésie hyperboréenne, auquel un air triste, entrecoupé de pauses, procédant par intervalles bizarres, prêtait une indéfinissable couleur. Voici, d’ailleurs, un spécimen de cette poésie, copié sur l’album même de la voyageuse.