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à quinze milles du cap bathurst.

terre, en effet, ces animaux sont lourds, peu mobiles, gauches. Ils ne marchent que par petits sauts, ou en produisant avec leur échine un certain mouvement de reptation. Mais dans l’eau, leur véritable élément, ils redeviennent des poissons agiles, des nageurs redoutables, qui souvent mettent en péril les chaloupes qui les poursuivent.

Cependant les grands mâles se défiaient. Ils sentaient un danger prochain. Leur tête se redressait. Leurs yeux se portaient de tous côtés. Mais, avant qu’ils eussent eu le temps de donner le signal d’alarme, Jasper Hobson et Kellet, s’élançant d’une part, le sergent, Petersen et Hope se précipitant de l’autre, frappèrent cinq morses de leurs balles, puis ils les achevèrent à coups de pique, pendant que le reste du troupeau se précipitait à la mer.

La victoire avait été facile. Les cinq amphibies étaient de grande taille. L’ivoire de leurs défenses, quoique un peu grenu, paraissait être de première qualité ; mais, ce que le lieutenant Hobson appréciait davantage, leur corps gros et gras promettait de fournir une huile abondante. On se hâta de les placer sur les traîneaux, et les attelages de chiens en eurent leur charge suffisante.

Il était une heure alors. En ce moment, Mrs. Paulina Barnett rejoignit ses compagnons, et tous reprirent, en côtoyant le littoral, la route du fort Espérance.

Il va sans dire que ce retour se fit à pied, puisque les traîneaux étaient à pleine charge. Ce n’était qu’une dizaine de milles à franchir, mais en ligne droite. Or « rien n’est plus long qu’un chemin qui ne fait pas de coudes », dit le proverbe anglais, et ce proverbe a raison.

Aussi, pour tromper les ennuis de la route, les chasseurs causèrent-ils de choses et d’autres. Mrs. Paulina Barnett se mêlait fréquemment à leur conversation, et s’instruisait ainsi en profitant des connaissances spéciales à ces braves gens. Mais, en somme, on n’allait pas vite. C’était un lourd fardeau pour les attelages que ces masses charnues, et les traîneaux glissaient mal. Sur une couche de neige bien durcie, les chiens auraient franchi en moins de deux heures la distance qui séparait la baie des Morses du fort Espérance.

Plusieurs fois, le lieutenant Hobson dut faire halte pour donner quelques instants de repos à ses chiens, qui étaient à bout de forces.

Ce qui amena le sergent Long à dire :

« Ces morses, dans notre intérêt, auraient bien dû établir plus près du fort leur campement habituel.

— Ils n’y auraient point trouvé d’emplacement favorable, répondit le lieutenant en secouant la tête.