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maître zacharius

gaillardes-là n’ont pas une conduite fort régulière, il est juste qu’elles portent la peine de leur dérèglement. Il m’est avis qu’elles auraient besoin de se ranger un peu !

— Qu’appelez-vous des défauts ? fit maître Zacharius, rougissant du ton sarcastique avec lequel ces paroles avaient été prononcées. Est-ce qu’elles n’ont pas le droit d’être fières de leur origine ?

— Pas trop, pas trop ! répondit le petit vieillard. Elles portent un nom célèbre, et sur leur cadran est gravée une signature illustre, c’est vrai, et elles ont le privilège exclusif de s’introduire parmi les plus nobles familles ; mais, depuis quelque temps, elles se dérangent, et vous n’y pouvez rien, maître Zacharius, et le plus inhabile des apprentis de Genève vous en remontrerait !

— À moi, à moi, maître Zacharius ! s’écria le vieillard avec un terrible mouvement d’orgueil.

— À vous, maître Zacharius, qui ne pouvez rendre la vie à vos montres !

— Mais c’est que j’ai la fièvre et qu’elles l’ont aussi ! répondit le vieil horloger, tandis qu’une sueur froide lui courait par tous les membres.

— Eh bien ! elles mourront avec vous, puisque vous êtes si empêché de redonner un peu d’élasticité à leurs ressorts !

— Mourir ! Non pas, vous l’avez dit ! Je ne peux pas mourir, moi, le premier horloger du monde, moi qui, au moyen de ces pièces et de ces rouages divers, ai su régler le mouvement avec une précision absolue ! N’ai-je donc pas assujetti le temps à des lois exactes, et ne puis-je en disposer en souverain ? Avant qu’un sublime génie vînt disposer régulièrement ces heures égarées, dans quel vague immense était plongée la destinée humaine ? À quel moment certain pouvaient se rapporter les actes de la vie ? Mais vous, homme ou diable, qui que vous soyez, vous n’avez donc jamais songé à la magnificence de mon art, qui appelle toutes les sciences à son aide ? Non ! non ! moi, maître Zacharius, je ne peux pas mourir, car, puisque j’ai réglé le temps, le temps finirait avec moi ! Il retournerait à cet infini dont mon génie a su l’arracher, et il se perdrait irréparablement dans le gouffre du néant ! Non, je ne puis pas plus mourir que le Créateur de cet univers soumis à ses lois ! Je suis devenu son égal, et j’ai partagé sa puissance ! Maître Zacharius a créé le temps, si Dieu a créé l’éternité. »

Le vieil horloger ressemblait alors à l’ange déchu, se redressant contre le Créateur. Le petit vieillard le caressait du regard, et semblait lui souffler tout cet emportement impie.

« Bien dit, maître ! répliqua-t-il. Belzébuth avait moins de droits que vous de se