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maître zacharius.

« Maintenant, Aubert, continua le vieil horloger en s’animant, jette un regard sur toi-même ! Ne comprends-tu donc pas qu’il y a deux forces distinctes en nous : celle de l’âme et celle du corps, c’est-à-dire un mouvement et un régulateur ? L’âme est le principe de la vie : donc c’est le mouvement. Qu’il soit produit par un poids, par un ressort ou par une influence immatérielle, il n’en est pas moins au cœur. Mais, sans le corps, ce mouvement serait inégal, irrégulier, impossible ! Aussi le corps vient-il régler l’âme, et, comme le balancier, est-il soumis à des oscillations régulières. Et ceci est tellement vrai, que l’on se porte mal lorsque le boire, le manger, le sommeil, en un mot les fonctions du corps ne sont pas convenablement réglées ! Ainsi que dans mes montres, l’âme rend au corps la force perdue par ses oscillations. Eh bien ! qui produit donc cette union intime du corps et de l’âme, sinon un échappement merveilleux, par lequel les rouages de l’un viennent s’engrener dans les rouages de l’autre ? Or, voilà ce que j’ai deviné, appliqué, et il n’y a plus de secrets pour moi dans cette vie, qui n’est, après tout, qu’une ingénieuse mécanique ! »

Maître Zacharius était sublime à voir dans cette hallucination, qui le transportait jusqu’aux derniers mystères de l’infini. Mais sa fille Gérande, arrêtée sur le seuil de la porte, avait tout entendu. Elle se précipita dans les bras de son père, qui la pressa convulsivement sur son sein.

« Qu’as-tu, ma fille ? lui demanda maître Zacharius.

— Si je n’avais qu’un ressort ici, dit-elle en mettant la main sur son cœur, je ne vous aimerais pas tant, mon père ! »

Maître Zacharius regarda fixement sa fille et ne répondit pas.

Soudain, il poussa un cri, porta vivement la main à son cœur et tomba défaillant sur son vieux fauteuil de cuir.

« Mon père ! qu’avez-vous ?

— Du secours ! s’écria Aubert. Scholastique ! »

Mais Scholastique n’accourut pas aussitôt. On avait heurté le marteau de la porte d’entrée. Elle était allée ouvrir, et quand elle revint à l’atelier, avant qu’elle eût ouvert la bouche, le vieil horloger, ayant repris ses sens, lui disait :

« Je devine, ma vieille Scholastique, que tu m’apportes encore une de ces montres maudites qui s’est arrêtée !

— Jésus ! C’est pourtant la vérité, répondit Scholastique, en remettant une montre à Aubert.

— Mon cœur ne peut pas se tromper ! » dit le vieillard avec un soupir.

Cependant, Aubert avait remonté la montre avec le plus grand soin, mais elle ne marchait plus.