Page:Verne - Le Docteur Ox.djvu/72

Cette page a été validée par deux contributeurs.

En apprenant ce qui se passait, le docteur Ox ne put contenir sa joie. Il résistait aux arguments de son préparateur, qui voyait les choses prendre une mauvaise tournure. D’ailleurs, tous deux subissaient l’exaltation générale. Ils étaient non moins surexcités que le reste de la population, et ils en arrivèrent à se quereller à l’égal du bourgmestre et du conseiller.

Du reste, il faut le dire, une question primait toutes les autres et avait fait renvoyer les rencontres projetées à l’issue de la question virgamenoise. Personne n’avait le droit de verser son sang inutilement, quand il appartenait jusqu’à la dernière goutte à la patrie en danger.

En effet, les circonstances étaient graves, et il n’y avait plus à reculer.

Le bourgmestre van Tricasse, malgré toute l’ardeur guerrière dont il était animé, n’avait pas cru devoir se jeter sur son ennemi sans le prévenir. Il avait donc, par l’organe du garde champêtre, le sieur Hottering, mis les Virgamenois en demeure de lui donner réparation du passe-droit commis en 1195 sur le territoire de Quiquendone.

Les autorités de Virgamen, tout d’abord, n’avaient pu deviner ce dont il s’agissait, et le garde champêtre, malgré son caractère officiel, avait été éconduit fort cavalièrement.

Van Tricasse envoya alors un des aides de camp du général confiseur, le citoyen Hildevert Shuman, un fabricant de sucre d’orge, homme très ferme, très énergique, qui apporta aux autorités de Virgamen la minute même du procès-verbal rédigé en 1195 par les soins du bourgmestre Natalis van Tricasse.

Les autorités de Virgamen éclatèrent de rire, et il en fut de l’aide de camp exactement comme du garde champêtre.

Le bourgmestre assembla alors les notables de la ville. Une lettre, remarquablement et vigoureusement rédigée, fut faite en forme d’ultimatum ; le casus belli y était nettement posé, et un délai de vingt-quatre heures fut donné à la ville coupable pour réparer l’outrage fait à Quiquendone.

La lettre partit, et revint, quelques heures après, déchirée en petits morceaux, qui formaient autant d’insultes nouvelles. Les Virgamenois connaissaient de longue date la longanimité des Quiquendoniens, et ils se moquaient d’eux, de leur réclamation, de leur casus belli et de leur ultimatum.

Il n’y avait plus qu’une chose à faire : s’en rapporter au sort des armes, invoquer le dieu des batailles et, suivant le procédé prussien, se jeter sur les Virgamenois avant qu’ils fussent tout à fait prêts.

C’est ce que décida le conseil dans une séance solennelle, où les cris, les objurgations, les gestes menaçants s’entre-croisèrent avec une violence sans exemple.