— Il aime, van Tricasse, il aime votre charmante Suzel.
— Eh bien ! Niklausse, il l’épousera. Du moment que nous sommes convenus de faire ce mariage, que peut-il demander de plus ?
— Il ne demande rien, van Tricasse, il ne demande rien, ce cher enfant ! Mais enfin — et je ne veux pas en dire davantage — il ne sera pas le dernier à prendre son billet au bureau !
— Ah ! vive et ardente jeunesse ! répliqua le bourgmestre, souriant à son passé. Nous avons été ainsi, mon digne conseiller ! Nous avons aimé, nous aussi ! Nous avons fait queue en notre temps ! À ce soir donc, à ce soir ! À propos, savez-vous que c’est un grand artiste, ce Fioravanti ! Aussi, quel accueil on lui a fait dans nos murs ! Il n’oubliera pas de longtemps les applaudissements de Quiquendone. »
Il s’agissait, en effet, du célèbre ténor Fioravanti, qui, par son talent de virtuose, sa méthode parfaite, sa voix sympathique, provoquait chez les amateurs de la ville un véritable enthousiasme.
Depuis trois semaines, Fioravanti avait obtenu des succès immenses dans les Huguenots. Le premier acte, interprété au goût des Quiquendoniens, avait rempli une soirée tout entière de la première semaine du mois. Une autre soirée de la seconde semaine, allongée par des andante infinis, avait valu au célèbre chanteur une véritable ovation. Le succès s’était encore accru avec le troisième acte du chef-d’œuvre de Meyerbeer. Mais c’est au quatrième acte qu’on attendait Fioravanti, et ce quatrième acte, c’est ce soir-là même qu’il allait être joué devant un public impatient. Ah ! ce duo de Raoul et de Valentine, cet hymne d’amour à deux voix, largement soupiré, cette strette où se multiplient les crescendo, les stringendo, les pressez un peu, les più crescendo, tout cela chanté lentement, compendieusement, interminablement ! Ah ! quel charme !
Aussi, à quatre heures, la salle était pleine. Les loges, l’orchestre, le parterre regorgeaient. Aux avant-scènes s’étalaient le bourgmestre van Tricasse, Mlle van Tricasse, Mme van Tricasse et l’aimable Tatanémance en bonnet vert-pomme ; puis, non loin, le conseiller Niklausse et sa famille, sans oublier l’amoureux Frantz. On voyait aussi les familles du médecin Custos, de l’avocat Schut, d’Honoré Syntax, le grand juge, et Soutman (Norbert), le directeur de la compagnie d’assurances, et le gros banquier Collaert, fou de musique allemande, un peu virtuose lui-même, et le percepteur Rupp, et le directeur de l’Académie, Jérôme Resh, et le commissaire civil, et tant d’autres notabilités de la ville qu’on ne saurait les énumérer ici sans abuser de la patience du lecteur.
Ordinairement, en attendant le lever du rideau, les Quiquendoniens avaient