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Mais aussi quels applaudissements accueillaient ces artistes, qui enchantaient, sans jamais les fatiguer, les spectateurs de Quiquendone ! Toutes les mains frappaient l’une dans l’autre à des intervalles assez éloignés, ce que les comptes rendus des journaux traduisaient par applaudissements frénétiques ; et une ou deux fois même, si la salle étonnée ne croula pas sous les bravos, c’est que, au douzième siècle, on n’épargnait dans les fondations ni le ciment ni la pierre.

D’ailleurs, pour ne point exalter ces enthousiastes natures de Flamands, le théâtre ne jouait qu’une fois par semaine, ce qui permettait aux acteurs de creuser plus profondément leurs rôles et aux spectateurs de digérer plus longuement les beautés des chefs-d’œuvre de l’art dramatique.

Or, depuis longtemps les choses marchaient ainsi. Les artistes étrangers avaient l’habitude de contracter un engagement avec le directeur de Quiquendone, lorsqu’ils voulaient se reposer de leurs fatigues sur d’autres scènes, et il ne semblait pas que rien dût modifier ces coutumes invétérées, quand, quinze jours après l’affaire Schut-Custos, un incident inattendu vint jeter à nouveau le trouble dans les populations.

C’était un samedi, jour d’opéra. Il ne s’agissait pas encore, comme on pourrait le croire, d’inaugurer le nouvel éclairage. Non ; les tuyaux aboutissaient bien dans la salle, mais, pour le motif indiqué plus haut, les becs n’avaient pas encore été posés, et les bougies du lustre projetaient toujours leur douce clarté sur les nombreux spectateurs qui encombraient le théâtre. On avait ouvert les portes au public à une heure après midi, et à trois heures la salle était à moitié pleine. Il y avait eu un moment une queue qui se développait jusqu’à l’extrémité de la place Saint-Ernuph, devant la boutique du pharmacien Josse Liefrinck. Cet empressement faisait pressentir une belle représentation.

« Vous irez ce soir au théâtre ? avait dit le matin même le conseiller au bourgmestre.

— Je n’y manquerai pas, avait répondu van Tricasse, et j’y conduirai Mme  Van Tricasse, ainsi que notre fille Suzel et notre chère Tatanémance, qui raffolent de la belle musique.

— Mlle  Suzel viendra ? demanda le conseiller.

— Sans doute, Niklausse.

— Alors mon fils Frantz sera un des premiers à faire queue, répondit Niklausse.

— Un garçon ardent, Niklausse, répondit doctoralement le bourgmestre, une tête chaude ! Il faut surveiller ce jeune homme.