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quarantième ascension française.


Ah ! quelle ivresse immense, alors que l’on domine
Ce monde merveilleux, ce chaos saisissant
De glaciers, de ravins et de rochers que mine
L’ouragan déchaîné qui hurle en bondissant !

Mais d’où vient ce fracas ? La montagne s’écroule !
Va-t-elle s’abîmer ? Quel bruit sourd et profond !
Non, c’est l’irrésistible avalanche qui roule,
Bondit et disparaît dans un gouffre sans fond.

Mont Rose, voilà donc ta cime éblouissante !
Te voilà, mont Cervin, sinistre et redouté !
Et vous, Wetterhorners, dont la masse puissante
Voile de la Jungfrau la blanche nudité !

Vous êtes grands, sans doute, ardus et difficiles,
Et n’atteint pas qui veut vos sommets insolents ;
Car plus d’un a péri sur vos flancs indociles
Que n’avaient point ému vos séracs chancelants.

Mais, regardez ici, plus haut, plus haut, vous dis-je ;
Haussez-vous à l’envi, l’un par l’autre porté ;
Voyez ce pic géant qui donne le vertige,
C’est votre maître à tous, à lui la royauté !


Vers huit heures, nous nous mettons en route pour Chamonix. La traversée des Bossons fut difficile, mais elle se fit sans accident.

Une demi-heure avant d’arriver à Chamonix, nous rencontrâmes, au chalet de la cascade du Dard, quelques touristes anglais qui semblaient guetter notre passage. Dès qu’ils nous aperçurent, ils vinrent, avec un empressement sympathique, nous féliciter de notre succès. L’un d’eux nous présenta à sa femme, charmante personne d’une distinction parfaite. Après que nous lui eûmes esquissé à grands traits les péripéties de notre voyage, elle nous dit avec un accent qui partait du cœur :

« How much you are envied here by everybody ! Let me touch your alpen stocks ! » (Combien chacun vous envie ! Laissez-moi toucher vos bâtons !)

Et ces paroles rendaient bien leur pensée à tous.

L’ascension du mont Blanc est très-pénible. On prétend que le célèbre naturaliste genevois de Saussure y prit le germe de la maladie dont il mourut