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un hivernage dans les glaces.

— C’est possible, André, répliqua vivement Jean Cornbutte, mais il est possible aussi qu’il se soit sauvé. Je veux fouiller tous les ports de la Norwége, où il a pu être poussé, et, quand j’aurai la certitude de ne plus jamais le revoir, alors, seulement, je reviendrai mourir ici ! »

André Vasling, comprenant que cette décision était inébranlable, n’insista plus et se retira.

Jean Cornbutte instruisit aussitôt sa nièce de son projet, et il vit briller quelques lueurs d’espérance à travers ses larmes. Il n’était pas encore venu à l’esprit de la jeune fille que la mort de son fiancé put être problématique ; mais à peine ce nouvel espoir fut-il jeté dans son cœur, qu’elle s’y abandonna sans réserve.

Le vieux marin décida que la Jeune-Hardie reprendrait aussitôt la mer. Ce brick, solidement construit, n’avait aucune avarie à réparer. Jean Cornbutte fit publier que s’il plaisait à ses matelots de s’y rembarquer, rien ne serait changé à la composition de l’équipage. Il remplacerait seulement son fils dans le commandement du navire.

Pas un des compagnons de Louis Cornbutte ne manqua à l’appel, et il y avait là de hardis marins, Alain Turquiette, le charpentier Fidèle Misonne, le Breton Penellan, qui remplaçait Pierre Nouquet comme timonier de la Jeune-Hardie, et puis Gradlin, Aupic, Gervique, matelots courageux et éprouvés.

Jean Cornbutte proposa de nouveau à André Vasling de reprendre son rang à bord. Le second du brick était un manœuvrier habile, qui avait fait ses preuves en ramenant la Jeune-Hardie à bon port. Cependant, on ne sait pour quel motif, André Vasling fit quelques difficultés, et demanda à réfléchir.

« Comme vous voudrez, André Vasling, répondit Cornbutte. Souvenez-vous seulement que, si vous acceptez, vous serez le bienvenu parmi nous. »

Jean Cornbutte avait un homme dévoué dans le Breton Penellan, qui fut longtemps son compagnon de voyage. La petite Marie passait autrefois les longues soirées d’hiver dans les bras du timonier, pendant que celui-ci demeurait à terre. Aussi avait-il conservé pour elle une amitié de père, que la jeune fille lui rendait en amour filial. Penellan pressa de tout son pouvoir l’armement du brick, d’autant plus que, selon lui, André Vasling n’avait peut-être pas fait toutes les recherches possibles pour retrouver les naufragés, bien qu’il fût excusé par la responsabilité qui pesait sur lui comme capitaine.

Huit jours ne s’étaient pas écoulés que la Jeune-Hardie se trouvait prête à reprendre la mer. Au lieu de marchandises, elle fut complètement approvisionnée de viandes salées, de biscuits, de barils de farine, de pommes de terre, de porc, de vin, d’eau-de-vie, de café, de thé, de tabac.