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un drame dans les airs.

Mosment s’enlevait à Lille, sur un plateau léger ; une oscillation lui fit perdre l’équilibre ; Mosment tomba et se tua ! Bittorf, à Manheim, vit son ballon de papier s’enflammer dans les airs ; Bittorf tomba et se tua ! Harris s’éleva dans un ballon mal construit, dont la soupape trop grande ne put se refermer ; Harris tomba et se tua ! Sadler, privé de lest par son long séjour dans l’air, fut entraîné sur la ville de Boston et heurté contre les cheminées ; Sadler tomba et se tua ! Coking descendit avec un parachute convexe qu’il prétendait perfectionné ; Coking tomba et se tua ! Eh bien, je les aime, ces victimes de leur imprudence, et je mourrai comme elles ! Plus haut ! plus haut ! »

Tous les fantômes de cette nécrologie me passaient devant les yeux ! La raréfaction de l’air et les rayons du soleil augmentaient la dilatation du gaz, et le ballon montait toujours ! Je tentai machinalement d’ouvrir la soupape, mais l’inconnu en coupa la corde à quelques pieds au-dessus de ma tête… J’étais perdu !

« Avez-vous vu tomber Mme  Blanchard ? me dit-il. Je l’ai vue, moi ! oui, moi ! J’étais au Tivoli le 6 juillet 1819. Mme  Blanchard s’élevait dans un ballon de petite taille, pour épargner les frais de remplissage, et elle était obligée de le gonfler entièrement. Aussi, le gaz fusait-il par l’appendice inférieur, laissant sur sa route une véritable traînée d’hydrogène. Elle emportait, suspendue au-dessous de sa nacelle par un fil de fer, une sorte d’auréole d’artifice qu’elle devait enflammer. Maintes fois, elle avait répété cette expérience. Ce jour-là, elle enlevait de plus un petit parachute lesté par un artifice terminé en boule à pluie d’argent. Elle devait lancer cet appareil, après l’avoir enflammé avec une lance à feu toute préparée à cet effet. Elle partit. La nuit était sombre. Au moment d’allumer son artifice, elle eut l’imprudence de faire passer la lance à feu sous la colonne d’hydrogène qui fusait hors du ballon. J’avais les yeux fixés sur elle. Tout à coup, une lueur inattendue éclaire les ténèbres. Je crus à une surprise de l’habile aéronaute. La lueur grandit, disparut soudain et reparut au sommet de l’aérostat sous la forme d’un immense jet de gaz enflammé. Cette clarté sinistre se projetait sur le boulevard et sur tout le quartier Montmartre. Alors, je vis la malheureuse se lever, essayer deux fois de comprimer l’appendice du ballon pour éteindre le feu, puis s’asseoir dans sa nacelle et chercher à diriger sa descente, car elle ne tombait pas. La combustion du gaz dura plusieurs minutes. Le ballon, s’amoindrissant de plus en plus, descendait toujours, mais ce n’était pas une chute ! Le vent soufflait du nord-ouest et le rejeta sur Paris. Alors, aux environs de la maison no 16, rue de Provence, il y avait d’immenses jardins. L’aéronaute pouvait y tomber sans danger. Mais, fatalité ! Le ballon et