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maître zacharius.

gent les bois antiques et dont le bruit marque les temps de « l’horloge de la mort ».

Aux premiers rayons du jour, ils s’aventurèrent tous trois par les escaliers sans fin qui circulaient sous cet amas de pierres. Pendant deux heures, ils errèrent ainsi sans rencontrer âme qui vive, et n’entendant qu’un écho lointain répondre à leurs cris. Tantôt ils se trouvaient enfouis à cent pieds sous terre, tantôt ils dominaient de haut ces montagnes sauvages.

Le hasard les ramena enfin à la vaste salle qui les avait abrités pendant cette nuit d’angoisses. Elle n’était plus vide. Maître Zacharius et Pittonaccio y causaient ensemble, l’un debout et raide comme un cadavre, l’autre accroupi sur une table de marbre.

Maître Zacharius, ayant aperçu Gérande, vint la prendre par la main et la conduisit vers Pittonaccio en disant :

« Voilà ton maître et seigneur, ma fille ! Gérande, voilà ton époux ! »

Gérande frissonna de la tête aux pieds.

« Jamais ! s’écria Aubert, car elle est ma fiancée.

— Jamais ! » répondit Gérande comme un écho plaintif.

Pittonaccio se prit à rire.

« Vous voulez donc ma mort ? s’écria le vieillard. Là, dans cette horloge, la dernière qui marche encore de toutes celles qui sont sorties de mes mains, là est renfermée ma vie, et cet homme m’a dit : « Quand j’aurai ta fille, cette horloge t’appartiendra. » Et cet homme ne veut pas la remonter ! Il peut la briser et me précipiter dans le néant ! Ah ! ma fille ! tu ne m’aimerais donc plus !

— Mon père ! murmura Gérande en reprenant ses sens.

— Si tu savais combien j’ai souffert loin de ce principe de mon existence ! reprit le vieillard. Peut-être ne soignait-on pas cette horloge ! Peut-être laissait-on ses ressorts s’user, ses rouages s’embarrasser ! Mais maintenant, de mes propres mains, je vais soutenir cette santé si chère, car il ne faut pas que je meure, moi, le grand horloger de Genève ! Regarde, ma fille, comme ces aiguilles avancent d’un pas sûr ! Tiens, voici cinq heures qui vont sonner ! Écoute bien, et regarde la belle maxime qui va s’offrir à tes yeux. »

Cinq heures tintèrent au clocher de l’horloge avec un bruit qui résonna douloureusement dans l’âme de Gérande, et ces mots parurent en lettres rouges :

Il faut manger les fruits de l’arbre de science.

Aubert et Gérande se regardèrent avec stupéfaction. Ce n’étaient plus les orthodoxes devises de l’horloger catholique ! Il fallait que le souffle