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« Monsieur Jean, lui dis-je, il est déjà huit heures, et nous devons aller… »

Il ne me fit qu’un signe de la tête, comme si cela lui eût trop coûté de répondre.

Il était temps d’aller chercher M. de Lauranay.

Nous remontâmes donc la rue, et nous avions fait trois cents pas environ, quand un soldat du régiment de Leib s’arrêta en face de M. Jean.

« Vous êtes Jean Keller ? dit-il.

— Oui !

— Voilà pour vous. »

Et il présentait une lettre.

« Qui vous envoie ? demandai-je.

— Le lieutenant von Melhis. »

C’était un des témoins du lieutenant Frantz. Il me passa un frisson. M. Jean ouvrit la lettre.

Voici ce qu’il lut :

« Par suite de circonstances nouvelles, un duel est maintenant impossible entre le lieutenant Frantz von Grawert et le soldat Jean Keller.

« R.-G. von Melhis. »

Mon sang ne fit qu’un tour ! Un officier ne peut se battre avec un soldat, soit ! Mais, « soldat », Jean Keller ne l’était pas ! Il s’appartenait pour quelques heures encore !

Vrai Dieu ! il me semble qu’un officier français n’aurait pas agi de la sorte ! Il eût rendu raison à l’homme qu’il avait offensé, insulté mortellement ! Il serait venu sur le terrain…

Là-dessus, je m’arrête ! J’en dirais de trop ! Et, pourtant, en y réfléchissant, ce duel était-il possible ?…

M. Jean avait déchiré la lettre, il l’avait rejetée avec un geste de mépris, et rien que ces mots s’échappèrent de ses lèvres :

« Le misérable ! »