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extraordinaire. Cette mesure atteignait presque tous les jeunes gens de la ville, et, je dois le dire, d’après ce que j’observai, elle fut reçue avec un déplaisir universel. C’était dur, en somme, car les familles n’y étaient nullement préparées. On ne s’y attendait pas. En quelques heures, il fallait partir, sac au dos, fusil sur l’épaule.

Je fis les cent pas devant la maison. Il avait été convenu que M. Jean et moi, nous irions chercher M. de Lauranay, vers huit heures, pour nous rendre au rendez-vous. Si M. de Lauranay fût venu nous rejoindre, cela aurait pu éveiller quelque soupçon.

J’attendis jusqu’à sept heures et demie. M. Jean n’était pas encore descendu.

De son côté, Mme Keller n’avait pas paru dans le salon du rez-de-chaussée.

À ce moment Irma vint me retrouver.

« Que fait M. Jean ? lui demandai-je.

— Je ne l’ai pas aperçu, me répondit-elle. Il ne doit pas être sorti, pourtant. Peut-être ferais-tu bien de voir un peu…

— C’est inutile, Irma, je l’ai entendu aller et venir dans sa chambre ! »

Et alors, nous causâmes, non du duel, — ma sœur devait l’ignorer, — mais de la situation si grave que cette mesure d’incorporation venait de créer à Jean Keller. Irma était désespérée, et, de se séparer de sa maîtresse dans de telles circonstances, cela lui brisait le cœur.

Un peu de bruit se fit entendre à l’étage supérieur. Ma sœur rentra et revint me dire que M. Jean était près de sa mère.

Je pensai qu’il avait voulu l’embrasser comme il le faisait chaque matin. Dans son idée, c’était peut-être un dernier adieu, un dernier baiser qu’il lui donnait !

Vers huit heures, on descendit l’escalier. M. Jean se montra sur le seuil de la maison.

Irma venait de partir.

M. Jean vint à moi et me tendit la main.