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quelque coin, hors d’Allemagne… Ce n’est plus possible maintenant. Natalis, vous emmènerez votre sœur avec vous…

— Jean, je resterai à Belzingen !… répondit Irma. Je ne quitterai pas votre mère !

— Vous ne le pouvez…

— Nous resterons aussi ! s’écria Mlle Marthe.

— Non ! dit Mme Keller, qui venait de se relever, partez tous. Que je reste, moi, bien ! Je n’ai rien à craindre des Prussiens !… Est-ce que je ne suis pas allemande ! »

Et elle se dirigea vers la porte, comme si son contact eut dû nous répugner.

« Ma mère !… s’écria M. Jean, en s’élançant vers elle.

— Et que veux-tu, mon fils ?

— Je veux… répondit Jean, je veux que toi aussi tu partes ! Je veux que tu les suives en France, dans ton pays ! Moi, je suis soldat ! Mon régiment peut être déplacé d’un jour à l’autre !… Tu serais seule ici, toute seule, et il ne faut pas que cela soit…

— Je resterai, mon fils !… Je resterai, puisque tu ne peux plus m’accompagner…

— Et lorsque je quitterai Belzingen ?… reprit M. Jean, qui avait saisi le bras de sa mère.

— Je te suivrai, Jean !… »

Cette réponse fut faite d’un ton si résolu que M. Jean garda le silence. Ce n’était pas l’instant de discuter avec Mme Keller. Plus tard, demain, il causerait avec elle, il la ramènerait à une appréciation plus juste de la situation. Est-ce qu’une femme pouvait accompagner une armée en marche ? À quels dangers ne serait-elle pas exposée ? Je le répète, il ne fallait pas la contredire en ce moment. Elle réfléchirait, elle se laisserait persuader.

Puis, sous le coup d’une émotion violente, on se sépara.

Mme Keller n’avait pas même embrassé Mlle Marthe, — celle qu’une heure avant, elle nommait sa fille !

Je regagnai ma petite chambre. Je ne me couchai pas. Est-ce que