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On le comprendra, je ne pouvais me retenir d’aller voir, dussé-je déplaire à M. Kalkreuth et à ses agents. Lorsque j’entendais une sonnerie ou un roulement, il me fallait sortir, si j’étais libre. Je dis : si j’étais libre, car, au cas où Mme Keller m’eût donné ma leçon de lecture, pour rien au monde je n’aurais voulu la quitter. Seulement, à l’heure de la récréation, je filais par la porte, j’allongeais le pas, j’arrivais sur le passage des troupes, je les suivais jusqu’à la grande place, et là je regardais… je regardais, bien que Kalkreuth m’eût intimé de ne rien voir.

Bref, si tout ce mouvement m’intéressait en ma qualité de soldat, en ma qualité de Français je ne pouvais que dire : Minute ! ça n’est pas du bon ! Il était manifeste que les hostilités ne tarderaient pas à commencer.

Le 21, M. Jean revint de son voyage à Berlin. Ainsi qu’on devait le craindre, voyage inutile ! Le procès en était toujours au même point. Impossible de prévoir quelle en serait l’issue, ni même lorsqu’il finirait. C’était désespérant.

Quant au reste, d’après ce qu’il avait entendu dire, M. Jean rapportait cette impression que, d’un jour à l’autre, la Prusse allait déclarer la guerre à la France.


IX

Le lendemain et les jours suivants, nous allâmes tous deux à l’affût des nouvelles. Cela se déciderait avant huit jours ou guère plus. Il y eut encore des passages de troupes à Belzingen, les 21, 22 et 23, même un général qu’on m’a dit être le comte de Kaunitz, suivi de son état-major. Cette masse de soldats gagnait du côté de Coblentz, où attendaient les émigrés. La Prusse, donnant la main à l’Autriche, ne dissimulait plus qu’elle marchait contre la France.