Vous êtes descendu chez la famille Keller, qui a conservé des attaches avec la France. Il n’en faut pas plus, dans les circonstances où nous sommes, pour être suspect.
— N’étais-je pas libre de venir à Belzingen ? répondis-je.
— Parfaitement.
— L’Allemagne et la France sont-elles en guerre ?
— Pas encore. — Dites-moi, monsieur Delpierre, vous paraissez avoir de bons yeux ?
— Excellents !
— Eh bien, je vous engage à ne pas trop vous en servir !
— Pourquoi ?
— Parce que quand on regarde, on voit, et quand on voit, on est tenté de raconter ce que l’on a vu !
— Pour la deuxième fois, monsieur, je vous le répète, je ne suis pas un espion !
— Et pour la deuxième fois, je vous répondrai que je le souhaite, sans quoi…
— Sans quoi ?…
— Vous m’obligeriez à vous faire reconduire à la frontière, à moins que…
— À moins que ?…
— Dans le but de vous épargner les fatigues du voyage, il nous convînt de pourvoir à votre entretien et à votre logement pendant un temps plus ou moins long ! »
Cela dit, Kalkreuth m’indiqua d’un geste que je pouvais sortir. Cette fois, son bras n’était plus terminé par une main ouverte, mais par un poing fermé.
N’étant guère d’humeur à poser dans ce bureau de police, je tournai les talons, un peu trop militairement peut-être, en faisant un demi-tour qui sentait le soldat. Et il n’est pas sûr que cet animal ne l’ait point remarqué.
Je revins alors à la maison de Mme Keller. Maintenant, j’étais averti. On ne me perdrait pas de vue.