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devrez vous défier de lui, Natalis. Il se nomme Kalkreuth. Ce Kalkreuth n’a jamais cherché qu’à nous susciter des ennuis, parce qu’il trouve que nous nous occupons trop de la France. Aussi le tenons-nous à l’écart, et il le sait. Je ne serais pas étonné qu’il voulût nous impliquer dans quelque méchante affaire. Donc, veillez bien à vos paroles.

— Que ne m’accompagnez-vous à son bureau, monsieur Jean ? répondis-je.

— Kalkreuth ne m’a pas mandé, et il est probable qu’il ne lui plairait point de me voir !

— Baragouine-t-il français, au moins ?

— Il le parle parfaitement. Mais n’oubliez pas, Natalis, de bien réfléchir avant de répondre, et ne dites à Kalkreuth que juste ce qu’il faut dire.

— Soyez tranquille, monsieur Jean. »

On m’indiqua la demeure dudit Kalkreuth. Je n’avais que quelques centaines de pas à faire pour atteindre sa maison. J’y arrivai en un instant.

L’agent se trouvait à la porte, et m’introduisit aussitôt dans le cabinet du directeur de police.

Ce fut un sourire, paraît-il, que voulut bien m’adresser ce personnage, car ses lèvres se détendirent d’une oreille à l’autre. Puis, pour m’inviter à m’asseoir, il fit un geste qui, dans sa pensée, devait être on ne peut plus gracieux.

En même temps, il continuait à feuilleter des paperasses étalées sur sa table.

J’en profitai pour observer mon Kalkreuth. C’était un grand flandrin, vêtu d’une rhingrave à brandebourgs, haut de cinq pieds huit pouces, très long de buste, ce que nous appelons un quinze-côtes, maigre, osseux, avec des pieds d’une longueur !… une figure parcheminée, qui devait toujours être sale, même quand elle était lavée, la bouche large, les dents jaunâtres, le nez écrasé du bout, les tempes plissées, de petits yeux en trous de vrille, un point lumineux