haine, et de plus, un désir de vengeance qui n’attendait, sans doute, que l’occasion pour se manifester.
Toutefois, le jeune officier, qu’il y fût poussé par la jalousie ou la colère, ne cessa de rechercher Mlle Marthe. C’est pourquoi, depuis ce jour, la jeune fille avait-elle pris le parti de ne plus sortir seule, comme le permettent les habitudes allemandes, ni avec son grand-père ni avec Mme Keller ou ma sœur.
Voilà les choses que je n’appris que plus tard. Cependant j’ai préféré vous les dire tout de suite.
Quant à l’accueil que je reçus dans la famille de M. de Lauranay, il eût été impossible d’en souhaiter un meilleur.
« Le frère de ma bonne Irma est de nos amis, me dit Mlle Marthe, et je suis heureuse de pouvoir lui serrer la main ! »
Et croiriez-vous que je ne trouvai rien à répondre ? En vérité, si jamais je fus sot, ce fut bien ce jour-là. Interdit, interloqué, je me taisais. Et cette main tendue de si bonne grâce !… Enfin je la saisis et la pressai à peine, tant j’eus peur de la briser. Que voulez-vous ! Un pauvre maréchal des logis !
Puis, on passa dans le jardin, on se promena. La conversation me mit plus à l’aise. On parla de la France. M. de Lauranay m’interrogea sur les événements qui s’y préparaient. Il semblait craindre que cela ne fût de nature à causer bien des ennuis à ses compatriotes établis en Allemagne. Il se demandait s’il ne ferait pas mieux de quitter Belzingen et de revenir se fixer dans son pays, en Lorraine.
« Vous songeriez à partir ? dit vivement M. Keller.
— Je crains que nous n’y soyons forcés, mon cher Jean, répondit M. de Lauranay.
— Et nous ne voudrions pas partir seuls, ajouta Mlle Marthe. Que dure votre congé, monsieur Delpierre ?
— Deux mois, répondis-je.
— Eh bien, mon cher Jean, reprit-elle, est-ce que M. Delpierre n’assistera pas, avant son départ, à notre mariage ?…
— Oui… Marthe… Oui ! »