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excellente dame s’appuyer sur moi. Un honneur et un bonheur à la fois.

Nous n’eûmes pas à marcher longtemps. M. de Lauranay restait dans le haut de la rue. Il occupait une jolie maison, fraîche de couleur, attrayante d’aspect, avec un parterre de fleurs sur le devant, deux grands hêtres de chaque côté, et, derrière, un assez vaste jardin avec des gazons et des ombrages. Cette habitation indiquait une belle aisance chez son propriétaire. M. de Lauranay se trouvait, effectivement, dans une agréable situation de fortune.

Au moment d’entrer, Mme Keller m’apprit que Mlle de Lauranay n’était pas la demoiselle de M. de Lauranay, mais sa petite-fille. Je ne fus donc pas surpris par leur différence d’âge.

M. de Lauranay avait alors soixante-dix ans. C’était un homme de haute taille que la vieillesse n’avait pas courbé encore. Ses cheveux, plutôt gris que blancs, encadraient une belle et noble figure. Ses yeux vous regardaient avec douceur. Dans ses manières, on reconnaissait facilement l’homme de qualité. Rien de plus sympathique que son abord.

Le « de » du nom de M. de Lauranay, que n’accompagnait aucun titre, prouvait seulement qu’il appartenait à cette classe, placée entre la noblesse et la bourgeoisie, qui n’a point dédaigné l’industrie ou le commerce — ce dont on ne peut que la féliciter. Si, personnellement, M. de Lauranay ne s’était point mis dans les affaires, son grand-père et son père l’avaient fait avant lui. Donc, parce qu’il trouva une fortune toute acquise en naissant, il ne conviendrait pas de le lui reprocher.

La famille de Lauranay était lorraine d’origine, et protestante de religion, comme celle de M. Keller. Cependant, si ses ancêtres avaient dû quitter le sol français, après la révocation de l’Édit de Nantes, ce n’était point avec l’intention de rester à l’étranger. Aussi revinrent-ils dans leur pays, dès que le retour à des idées plus libérales l’eût permis, et, depuis cette époque, ne quittèrent jamais la France.