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Il y avait alors à Belzingen un régiment d’infanterie, le régiment de Leib, commandé par le colonel von Grawert. J’appris plus tard que ce régiment y tenait garnison depuis cinq à six mois déjà. Très probablement, par suite du mouvement de troupes qui se prononçait vers l’ouest de l’Allemagne, il ne tarderait pas à rejoindre le gros de l’armée prussienne.

Un soldat aime toujours à regarder d’autres soldats, même quand ils sont étrangers. On cherche à voir ce qui est bien, ce qui est mal. Question de métier. Depuis le dernier bouton des guêtres jusqu’à la plume du chapeau, on examine leur uniforme et comment ils défilent. Cela ne laisse pas d’être intéressant.

Je m’arrêtai donc. M. Jean s’arrêta.

Les tambours battaient une de ces marches d’un rythme continu, qui sont d’origine prussienne.

Derrière eux, quatre compagnies du régiment de Leib marquaient le pas. Ce n’était point là un départ, mais une simple promenade militaire.

M. Jean et moi, nous étions rangés le long de la route, pour laisser passage. Les tambours étaient arrivés à notre hauteur, lorsque je sentis que M. Jean me saisissait vivement par le bras, comme s’il eût voulu se forcer à rester en place.

Je le regardai.

« Qu’y a-t-il ? demandai-je.

— Rien ! »

M. Jean était devenu pâle tout d’abord. Maintenant le sang lui montait aux joues. On eût dit qu’il venait d’avoir un étourdissement, ce que nous appelons des bleues vues. Puis, son regard devint fixe, et il eût été difficile de le faire baisser.

En tête de la première compagnie, sur la gauche, marchait un lieutenant, et, par conséquent, du côté que nous occupions le long de la route.

C’était un de ces officiers allemands comme on en voyait tant alors et comme on en a tant vus depuis. Un assez bel homme, blond tirant