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son accent qui m’allait au cœur, je puis affirmer que M. Jean eût crânement accompli son devoir. Mais on est rarement maître de sa vie. Que de grandes choses on n’a pas faites et qu’on aurait pu faire ! Enfin, c’est ainsi la destinée, et il faut la prendre comme elle vient.

Nous revenions alors vers Belzingen, en redescendant la route. Les premières maisons blanchissaient au soleil. Leurs toits rouges, très visibles entre les arbres, éclataient comme des fleurs au milieu de la verdure. Nous n’en étions plus qu’à deux portées de fusil, lorsque M. Jean me dit :

« Ce soir, après souper, ma mère et moi, nous avons une visite à faire.

— Que je ne vous gêne pas ! répondis-je. Je resterai avec ma sœur Irma.

— Non, au contraire, Natalis, et je vous demanderai de venir avec nous chez ces personnes.

— Comme il vous plaira !

— Ce sont des compatriotes à vous, M. et Mlle de Lauranay, qui demeurent depuis longtemps à Belzingen. Ils auront du plaisir à vous voir, puisque vous venez de leur pays, et je désire qu’ils fassent votre connaissance.

— À votre volonté, » répondis-je.

Je compris bien que M. Jean voulait m’introduire plus avant dans les secrets de sa famille. Mais, pensai-je, ce mariage ne sera-t-il pas un obstacle au projet de revenir en France ? Ne créera-t-il pas un lien qui attachera plus obstinément Mme Keller et son fils à ce pays, si M. de Lauranay et sa fille y sont fixés sans esprit de retour ? Là-dessus, je devais bientôt savoir à quoi m’en tenir. Un peu de patience ! Il ne faut pas tourner plus vite que le moulin, ou l’on fait de mauvaise farine.

Nous étions arrivés aux premières maisons de Belzingen. Déjà M. Jean s’engageait dans la principale rue, lorsque j’entendis au loin un bruit de tambours.