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près de finir. Il importait de le suivre assidûment, et, pour ne rien négliger, d’aller souvent à Berlin. C’est que l’avenir de la famille Keller en dépendait. Après tout, ses droits étaient si certains qu’elle ne pouvait le perdre, quel que fût le mauvais vouloir des juges.

Ce jour-là, à midi, nous dînâmes à la table commune. Nous étions en famille. Voilà la façon dont on me traitait. J’étais près de Mme Keller. Ma sœur Irma occupait sa place habituelle, près de M. Jean, qui me faisait face.

On causa de mon voyage, des difficultés que j’avais pu rencontrer en route, de l’état du pays. Je devinai les inquiétudes de Mme Keller et de son fils à propos de ce qui se préparait, de ces troupes en marche vers la frontière de France, aussi bien celles de la Prusse que celles de l’Autriche. Leurs intérêts risquaient d’être pour longtemps compromis, si la guerre éclatait.

Mais mieux valait ne pas parler de choses si tristes à ce premier dîner. Aussi, M. Jean voulut-il changer la conversation, et je fus mis sur la sellette.

« Et vos campagnes, Natalis ? me demanda-t-il. Vous avez déjà fait le coup de feu en Amérique. Vous avez rencontré là-bas le marquis de Lafayette, cet héroïque Français, qui a voué sa fortune et sa vie à la cause de l’indépendance !

— Oui, monsieur Jean.

— Et vous avez vu Washington ?

— Comme je vous vois, répondis-je, un homme superbe avec de grands pieds, de grandes mains, un géant ! »

Évidemment, c’était ce qui m’avait le plus frappé dans le général américain.

Il fallut alors raconter ce que je savais de la bataille de Yorktown, et comment le comte de Rochambeau avait proprement rossé lord Cornwallis.

« Et depuis votre retour en France, me demanda M. Jean, vous n’avez pas fait campagne ?