Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

çaise de la Lorraine. C’étaient d’habiles commerçants, dans un état de fortune déjà fort honnête. Et ils eussent certainement prospéré, sans le grave événement qui vint bouleverser l’avenir de quelques milliers de familles que l’on comptait parmi les plus industrieuses de la France.

Les Keller étaient protestants. Très attachés à leur religion, aucune question d’intérêt n’aurait pu en faire des renégats. On le vit bien, quand fut révoqué l’Édit de Nantes, en 1685. Ils eurent comme tant d’autres le choix de quitter le pays ou de renier leur foi. Comme tant d’autres, ils préférèrent l’exil.

Manufacturiers, artisans, ouvriers de toutes sortes, agriculteurs, partirent de France pour aller enrichir l’Angleterre, les Pays-Bas, la Suisse, l’Allemagne, et plus particulièrement le Brandebourg. Là ils reçurent un accueil empressé de l’Électeur de Prusse et de Postdam, à Berlin, à Magdebourg, à Battin, à Francfort-sur-l’Oder. Précisément, des Messins, au nombre de vingt-cinq mille, à ce qu’on m’a dit, vinrent fonder les florissantes colonies de Stettin et de Postdam.

Les Keller abandonnèrent donc la Lorraine, non sans esprit de retour, sans doute, après avoir dû céder leur fonds de commerce pour un pain de son.

Oui ! on se dit que l’on reviendra au pays, lorsque les circonstances le permettront. Mais, en attendant, on s’installe à l’étranger. De nouvelles relations s’établissent, de nouveaux intérêts se créent. Les années s’écoulent, et puis l’on reste ! Et cela est arrivé pour beaucoup au détriment de la France !

À l’époque, la Prusse, dont la fondation en royaume date seulement de 1701, ne possédait sur le Rhin que le duché de Clèves, le comté de la Marck et une partie de la Gueldre.

Ce fut précisément dans cette dernière province, presque sur les confins des Pays-Bas, que les Keller vinrent chercher refuge. Là, ils créèrent des établissements industriels, ils reprirent leur commerce interrompu par l’inique et déplorable révocation de l’Édit de