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— Minute ! À quelle distance sommes-nous de Belzingen ?

— Cinq grandes lieues.

— Bah ! répondis-je, si j’étais seul, j’enlèverais cela en deux heures ! Mais il faudra…

— Bon ! Natalis, j’irai plus vite que toi !

— Avec tes jambes !

— Non, avec les jambes de mon cheval ! »

Et Irma me montrait la carriole toute attelée à la porte de l’auberge.

« C’est toi, demandai-je, qui es venue me chercher dans cette carriole ?

— Oui, Natalis, afin de te ramener à Belzingen. Je suis partie à bonne heure, ce matin, et j’étais ici à sept heures tapant. Et même, si la lettre que tu nous as fait écrire était arrivée plus tôt, je serais allée te chercher plus loin.

— Oh ! c’était inutile, ma sœur. Allons, en route ! Tu n’as rien à payer à l’auberge ? J’ai là quelques kreutzers…

— Merci, Natalis, c’est fait, et, maintenant, il ne nous reste plus qu’à partir. »

Pendant que nous parlions, l’aubergiste du Ecktvende, appuyé sur sa porte, semblait écouter, sans en avoir l’air.

Cela ne me satisfit pas autrement. Peut-être aurions-nous mieux fait d’aller bavarder plus loin ?

Ce cabaretier, un gros homme, tout en mont, avait une figure déplaisante, des yeux en trous de vrille, à paupières plissées, un nez pincé, une grande bouche, comme si, quand il était petit, on lui eût donné sa bouillie avec un sabre. Enfin la mauvaise face d’un haricotier de mauvaise race !

Après tout, nous n’avions point dit de choses compromettantes. Peut-être n’avait-il rien entendu de notre entretien ! D’ailleurs, s’il ne savait pas le français, il n’avait pu comprendre que je venais de France.

Nous montâmes dans la carriole. Le cabaretier nous regarda partir, sans avoir fait un geste.