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GIL BRALTAR.


cisément Gil Braltar, nom qui, dans sa pensée sans doute, le prédestinait à cette conquête patriotique. Son cerveau n’y avait point résisté, et sa place eût été à l’hospice des aliénés. On le connaissait bien. Toutefois, depuis dix ans, on ne savait trop ce qu’il était devenu. Peut-être errait-il à travers le monde ? En réalité, il n’avait point quitté son domaine patrimonial. Il y vivait d’une existence de troglodyte, sous les bois, dans les cavernes, et plus particulièrement au fond de ces réduits inaccessibles des grottes de San-Miguel, qui, dit-on, communiquent avec la mer. On le croyait mort. Il vivait, cependant, mais à la façon de ces hommes sauvages, dépourvus de la raison humaine, qui n’obéissent plus qu’aux instincts de l’animalité.



III



Il dormait bien, le général Mac Kackmale, sur ses deux oreilles, plus longues que ne le comporte l’ordonnance. Avec ses bras démesurés, ses yeux ronds, enfoncés sous de rudes sourcils, sa face encadrée d’une barbe rêche, sa physionomie grimaçante, ses gestes d’anthropopithèque, le prognathisme extraordinaire de sa mâchoire, il était d’une laideur remarquable, — même chez un général anglais. Un vrai singe, excellent militaire, d’ailleurs, malgré sa tournure simiesque.

Oui ! Il dormait dans sa confortable habitation de Main-street, cette rue sinueuse qui traverse la ville depuis la Porte-de-Mer jusqu’à la Porte de l’Alameda. Peut-être rêvait-il que l’Angleterre s’emparait de l’Égypte, de la Turquie, de la Hollande, de l’Afghanistan, du Soudan, du pays des Boers, en un mot, de tous les points du globe à sa convenance, — et cela au moment où elle risquait de perdre Gibraltar.

La porte de la chambre s’ouvrit brusquement.

« Qu’y a-t-il ? demanda le général Mac Kackmale, en se redressant d’un bond.