— Oh ! moi, Natalis ! Si j’ai connu le chagrin, ça n’a jamais été que le chagrin des autres ! Depuis que j’ai quitté Grattepanche, je n’ai plus eu de misère ! Mais, de voir souffrir près de soi, quand on n’y peut rien… »
Le visage de ma sœur s’était assombri de nouveau. Elle détourna la conversation.
« Et ton voyage ? me demanda-t-elle.
— Il s’est bien passé ! Du temps assez beau pour la saison ! Et comme tu le vois, j’ai de solides jambes ! D’ailleurs, qu’est-ce que la fatigue, quand on est sûr d’être bien reçu à l’arrivée !
— Comme tu dis, Natalis, et l’on te fera bon accueil, et on t’aimera dans la famille comme on m’aime !
— Excellente madame Keller ! Sais-tu bien, ma sœur, que je ne la reconnaîtrai pas ! Elle est encore pour moi la demoiselle de monsieur et madame Acloque, de braves gens de Saint-Sauflieu. Quand elle s’est mariée, il y a bientôt vingt-cinq ans de cela, je n’étais qu’un gamin à l’époque. Mais notre père et notre mère en disaient tant de bien que ça m’est resté.
— Pauvre femme, dit alors Irma, elle est bien changée, bien moyenne maintenant ! Quelle épouse elle a été, Natalis, et surtout quelle mère elle est encore !
— Et son fils ?…
— Le meilleur des fils, qui s’est courageusement mis au travail pour remplacer son père, mort il y a quinze mois.
— Brave monsieur Jean !
— Il adore sa mère, il ne vit que pour elle, comme elle ne vit que pour lui !
— Je ne l’ai jamais vu, Irma, et je brûle de le connaître. Il me semble que je l’aime déjà, ce jeune homme !
— Ça ne m’étonne pas, Natalis. C’est par moi que cette amitié te vient.
— Alors, en route, ma sœur.
— En route.