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Et alors, voilà Ludwig Pertz de s’écrier :

« Mais votre fils n’a plus rien à craindre, madame Keller !… On n’avait pas le droit de l’incorporer !… Il n’est pas Prussien !… Il est Français ! »

On juge de l’effet que produisit cette déclaration. Et quand Ludwig Pertz fut mis en demeure de justifier son dire, il présenta à Mme Keller un numéro du Zeitblatt.

Cette gazette rapportait le jugement qui venait d’être rendu à la date du 17 août dans l’affaire Keller contre l’État. La famille Keller était déboutée de sa demande, par ce motif que la commission des fournitures ne devait être accordée qu’à un Allemand d’origine prussienne. Or, il avait été établi que les ancêtres de M. Keller n’avaient jamais demandé ni obtenu de naturalisation depuis leur établissement dans la Gueldre, après la révocation de l’Édit de Nantes, que ledit Keller n’avait jamais été prussien, qu’il avait toujours été français, et que, par conséquent, il ne lui était rien dû par l’État.

En voilà un, de jugement ! Que M. Keller fût resté français, cela ne faisait plus doute ! Mais ce n’était pas une raison pour ne point lui payer son dû ! Enfin, voilà comment on jugeait à Berlin en 1792. Je vous prie de croire que M. Jean ne songeait point à en rappeler. Il tenait son procès pour perdu, bien perdu. Ce qui était indiscutable, c’est que, né d’un père et d’une mère français, il était tout ce qu’il y avait de plus français au monde ! Et s’il lui fallait un baptême pour cela, il venait de le recevoir à la bataille de Valmy — ce baptême du feu qui en vaut bien un autre !

On le comprend, après la communication de Ludwig Pertz, il importait de retrouver M. Jean à tout prix. Précisément, on venait d’apprendre à la Croix-aux-Bois qu’il avait été pris dans l’Argonne, conduit à Longwé, puis emmené au camp prussien avec votre serviteur. Il n’y avait pas une heure à perdre. Mme Keller retrouva des forces en présence du danger qui menaçait son fils. Après le départ de la colonne autrichienne, accompagnée de M. de Lauranay, de Mlle Marthe, de ma sœur, et guidée par l’honnête Hans Stenger, elle