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Non ! Je suis ton frère, monsieur Rien du tout, qui est venu voir sa sœur.

— Bien, Natalis, on sera muette là-dessus, je te le promets.

— Ce sera prudent, car les espions allemands ont de bonnes oreilles !

— Sois tranquille !

— Et même, si tu veux suivre mon conseil, Irma, je te ramènerai avec moi en France ! »

Les yeux de ma sœur marquèrent un gros chagrin, et elle me fit la réponse que je prévoyais.

« Quitter madame Keller, Natalis ! Quand tu l’auras vue, tu comprendras que je ne peux pas la laisser seule ! »

Je le comprenais déjà, et je remis cette affaire à plus tard.

Cela dit, Irma avait repris ses bons yeux, sa bonne voix. Elle n’arrêtait plus de me demander des renseignements sur le pays, sur les personnes.

« Et notre sœur Firminie ?…

— En parfaite santé. J’ai eu de ses nouvelles par notre voisin Létocard, qui est venu, il y a deux mois, à Charleville. Tu te rappelles bien Létocard ?

— Le fils du charron !

— Oui ! Tu sais ou tu ne sais pas, Irma, qu’il est marié à une Matifas !

— La fille de ce vieux pépère de Fouencamps ?

— Lui-même. Il m’a dit que notre sœur ne se plaignait pas de la santé. Ah ! on a travaillé et on travaille dur à Escarbotin ! Puis, ils en ont quatre, d’enfants, et le dernier, difficile… Un hardi page ! Par bonheur, un mari honnête, bon ouvrier, et pas trop soiffard, sauf le lundi. Enfin, elle a encore bien de la peine à son âge !

— Elle est déjà ancienne !

— Dame ! cinq ans de plus que toi, Irma, et quatorze de plus que moi ! Cela compte !… Que veux-tu ? C’est une femme courageuse, comme tu l’es !