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armait m’entra dans l’oreille. Je serrais la main de Jean Keller, et je vous jure qu’elle ne tremblait pas dans la mienne !

Les fusils furent remontés à la hauteur de l’épaule. À un premier commandement, ils s’abaisseraient. À un second, ils feraient feu, et tout serait fini.

Soudain, des cris éclatent sous le bois, derrière l’escouade des soldats.

Dieu du ciel ! Que vois-je ?… Mme Keller, soutenue par Mlle Marthe et par ma sœur Irma. Sa voix pouvait à peine se faire entendre. Sa main agitait un papier, et Mlle Marthe, ma sœur, M. de Lauranay, répétaient avec elle :

« Français !… Français ! »

En cet instant, une formidable détonation retentit, et j’aperçus Mme Keller qui s’affaissait.

Ni M. Jean ni moi, n’étions tombés, cependant. Ce n’étaient donc pas les soldats du peloton qui avaient tiré ?…

Non ! Une demi-douzaine d’entre eux gisaient sur le sol, tandis que l’officier et les autres s’enfuyaient à toutes jambes.

En même temps, de divers côtés, à travers le bois partaient ces cris que j’entends encore :

« En avant ! En avant ! »

C’était bien le cri français, et non le rauque « vorwaertz ! » des Prussiens !

Un détachement de nos soldats, s’étant jeté hors de la route de Châlons, venait d’arriver dans le bois, au bon moment, j’ose le dire ! Leurs coups de feu avaient précédé, de quelques secondes seulement, ceux que le peloton allait tirer… Cela avait suffi. Maintenant, comment nos braves compatriotes s’étaient-ils trouvés là si à propos ?… Je devais ne le savoir que plus tard.

M. Jean avait bondi du côté de sa mère que Mlle Marthe et ma sœur soutenaient entre leurs bras. La malheureuse femme, croyant que cette détonation venait de nous donner le coup de mort, était tombée sans connaissance.