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du côté où l’on nous menait ? Toutes les troupes, appelées par Dumouriez, n’étaient-elles pas sous sa main autour de Sainte-Menehould ? Que voulez-vous ? On a tellement envie d’échapper à la mort que l’on se fait de ces idées-là !

Il était environ onze heures et quart. Le midi du 20 septembre ne sonnerait jamais pour nous !

En effet, nous étions arrivés. L’escouade venait de quitter la grande route de Châlons, sur la gauche. Le brouillard était encore assez épais pour que les objets ne fussent pas visibles à quelques centaines de pieds. On sentait, cependant, qu’il ne tarderait pas à se fondre au soleil.

Nous étions entrés dans un petit bois, désigné pour le lieu d’exécution et dont nous ne devions plus sortir.

Au loin s’entendaient des roulements de tambours, des éclats de trompette, auxquels se mêlaient des détonations d’artillerie, des pétillements de feux de file et de peloton.

Je cherchais à me rendre compte de ce qui se passait, comme si cela eût dû m’intéresser en un pareil moment ! J’observais que ces bruits de bataille venaient de la droite et qu’ils semblaient se rapprocher. Y avait-il donc un engagement sur la route de Châlons ? Une colonne était-elle sortie du camp de l’Épine pour prendre les Prussiens de flanc ? Je ne me l’expliquais pas.

Si je vous raconte ceci avec une certaine précision, c’est que je tiens à vous faire connaître quel était alors l’état de mon esprit. Quant aux détails, ils sont restés gravés dans ma mémoire. D’ailleurs, on n’oublie pas des choses pareilles. Pour moi, c’est comme si c’était d’hier !

Nous venions d’entrer dans le petit bois. Au bout d’une centaine de pas, l’escouade s’arrêta devant un abatis d’arbres.

C’était à cette place que M. Jean et moi nous devions être passés par les armes.

L’officier qui commandait — un homme à face dure — fit faire halte. Les soldats se rangèrent de côté, et j’entends encore les