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Je l’embrassai à bouche que veux-tu sur ses deux bonnes joues, rougies par le hâle de la campagne, et je vous prie de croire qu’à son tour, elle fit claquer les miennes !

C’était pour elle, pour la voir que j’avais demandé un congé. Je commençais à m’inquiéter qu’elle fût hors de France, au moment où les cartes menaçaient de se brouiller. Une Française au milieu de ces Allemands, si la guerre venait à être déclarée, cela pouvait causer de grands embarras. En pareil cas, mieux vaut être dans son pays. Et, si ma sœur le voulait, je la ramènerais avec moi. Pour cela, il lui faudrait quitter sa maîtresse, MMe Keller, et je doutais qu’elle y consentît. Enfin, ce serait à examiner.

« Quelle joie de nous revoir, Natalis, me dit-elle, de nous retrouver, et si loin de notre Picardie ! Il me semble que tu m’apportes un peu du bon air de là-bas ! Que nous aurons été de temps sans nous rencontrer !

— Treize ans, Irma !

— Oui, treize ans ! Treize ans de séparation ! Que c’est long, Natalis !

— Chère Irma ! » répondis-je.

Et nous voilà, nous deux ma sœur, allant et venant, bras dessus bras dessous, le long de la route.

« Et comment va ? lui dis-je.

— Toujours à peu près, Natalis. Et toi ?…

— Tout de même !

— Et puis, maréchal des logis ! En voilà un, d’honneur, pour la famille !

— Oui, Irma, et un grand ! Qui aurait jamais pensé que le petit gardeur d’oies de Grattepanche deviendrait maréchal des logis ! Mais il ne faut pas le crier trop haut.

— Pourquoi ?… Dis un peu pour voir !…

— Parce que, de raconter que je suis soldat, ce ne serait pas sans inconvénients dans ce pays. Au moment où il court des bruits de guerre, c’est déjà grave pour un Français de se trouver en Allemagne.