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blement d’espionnage en ma qualité de Français, on ne nous ferait pas languir.

Et j’entendis M. Jean murmurer :

« C’est la fin, cette fois ! »

Je ne répondis rien. Je l’avoue, mon fonds de confiance habituelle avait reçu un fort ébranlement, et la situation me paraissait désespérée.

« Oui, la fin ! répétait M. Jean. Et qu’importerait, si ma mère, si Marthe, si tous ceux que nous aimons étaient hors de danger ! Mais, après nous, que deviendront-elles ? Sont-elles encore dans ce village entre les mains des Autrichiens ?… »

Et de fait, en admettant qu’elles n’eussent point été entraînées, une faible distance les séparait de nous. À peine compte-t-on une lieue et demie entre la Croix-aux-Bois et Longwé. Pourvu que la nouvelle de notre arrestation ne leur fût pas parvenue !

C’est à quoi je pensais, c’est ce que je craignais par dessus tout. C’eût été le coup de mort pour Mme Keller. Oui ! J’en étais à désirer que les Autrichiens les eussent dirigées sur leurs avant-postes, au-delà de l’Argonne. Pourtant, Mme Keller était à peine transportable, et si on l’obligeait à se remettre en route, si les soins lui manquaient !…

La nuit se passa, sans que notre situation se fût modifiée. Quelles tristes pensées vous envahissent le cerveau, quand la mort est si proche ! C’est alors que toute notre vie repasse en un instant devant nos yeux !

Il faut ajouter que nous souffrions beaucoup de la faim, n’ayant vécu que de châtaignes depuis deux jours. On n’avait même pas songé à nous apporter de la nourriture. Eh, que diable ! Nous valions mille florins à ce gueux de Buch, et il pouvait bien nous nourrir pour le prix !

Nous ne l’avions pas revu, il est vrai. Sans doute, il était allé prévenir les Prussiens de sa capture. Je pensais alors que cela prendrait peut-être quelque temps. C’étaient des Autrichiens qui nous gardaient, mais c’étaient des Prussiens qui devaient prononcer sur