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une guerre avec la Prusse et l’Autriche, — l’Allemagne tout entière, quoi !

À la frontière du district, j’eus une bonne surprise.

J’étais à pied. Je me dirigeais vers une auberge pour y déjeuner, l’auberge du Ecktvende, — en français le Tourne-Coin. Après une nuit assez fraîche, un beau matin se levait. Joli temps. Le soleil de sept heures buvait la rosée des prairies. Tout un fourmillement d’oiseaux sur les hêtres, les chênes, les ormes, les bouleaux. Peu de culture dans la campagne. Bien des champs en friche. D’ailleurs, le climat est dur en ce pays.

À la porte du Ecktvende attendait une petite carriole, attelée d’un maigre bidet, capable, tout juste, de faire ses deux petites lieues à l’heure, si on ne lui donnait pas trop de côtes à monter.

Une femme se trouvait là, une femme grande, forte, bien constituée, corsage avec des bretelles enjolivées de passements, chapeau de paille orné de rubans jaunes, jupe à bandes rouges et violettes — le tout bien ajusté, très propre, comme l’eut été un vêtement de dimanche ou de jour de fête.

Et, en vérité, c’était bien jour de fête pour cette femme, si ce n’était pas dimanche !

Elle me regardait, et je la regardais me regarder.

Tout à coup, elle ouvre les bras, ne fait ni une ni deux, court à moi et s’écrie :

« Natalis !

— Irma ! »

C’était elle, c’était ma sœur. Elle m’avait reconnu. Véritablement, les femmes ont plus d’œil que nous pour ces reconnaissances qui viennent du cœur — ou tout au moins, un œil plus prompt. C’est qu’il y avait treize ans bientôt que nous ne nous étions vus, et l’on comprend si je m’ennuyais d’elle !

Comme elle était conservée encore, et bien allante ! Elle me rappelait notre mère, avec ses yeux grands et vifs, et aussi ses cheveux noirs, qui commençaient à blanchir aux tempes.