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Et nous voilà repartis. Les premières heures du jour avaient été bruyantes. L’artillerie ronflait au milieu des crépitements de la mousqueterie. C’était une nouvelle attaque du défilé de la Croix-aux-Bois, — attaque qui ne réussit pas en présence d’un ennemi trop nombreux.

Puis, vers huit heures, tout redevint silencieux. On n’entendait plus un seul coup de fusil. Terrible incertitude pour nous ! Qu’un combat se fût livré dans le défilé, nul doute possible à cet égard. Mais quel en avait été le résultat ? Devions-nous remonter à travers la forêt ? Non ! D’instinct, je sentais que c’eût été se livrer. Il fallait continuer toujours, continuer quand même, en marchant dans la direction de Vouziers.

À midi, quelques châtaignes, grillées sous les cendres, furent encore notre seule nourriture. Le taillis était si épais que nous faisions à peine cinq cents pas en une heure. Et puis, des alertes soudaines, des coups de feu à droite, à gauche, et enfin, ce qui vous mettait l’effroi dans l’âme, le glas du tocsin qui bourdonnait dans tous les villages de l’Argonne !

Le soir vint. Nous ne devions pas être à une lieue du cours de l’Aisne. Le lendemain, si aucun obstacle ne nous arrêtait, notre salut serait assuré de l’autre côté du fleuve. Il n’y aurait qu’à le redescendre pendant une heure sur sa rive droite, et nous le passerions sur les ponts de Senuc ou de Grand-Ham, dont Clairfayt ni Brunswick n’étaient encore les maîtres.

Nous avions fait halte vers huit heures. De notre mieux, nous cherchions à nous garantir du froid au fond d’un épais fourré. On n’entendait que le grignotement de la pluie sur les feuilles. Tout était tranquille dans la forêt, et je ne sais pourquoi je trouvais quelque chose d’inquiétant à cette tranquillité.

Soudain, à quelque vingt pas, des voix se firent entendre. M. Jean me saisit la main :

« Oui ! disait-on, nous sommes sur ses traces depuis la Croix-aux-Bois !