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rien ne nous séparera plus !… Cependant, si cela arrivait, je ferais tout ce que vous pouvez attendre d’un homme qui vous est entièrement dévoué ! »

M. Jean me serra la main.

« Natalis, reprit-il, si l’on s’empare de moi, je n’ai point à douter de mon sort. Il sera vite réglé. Souvenez-vous alors que ma mère ne doit jamais revenir en Prusse. Elle était française avant son mariage. Son mari et son fils n’étant plus, il faut qu’elle finisse sa vie dans le pays où elle est née !

— Elle était française, dites-vous, monsieur Jean ? Dites qu’elle l’est toujours et n’a jamais cessé de l’être à nos yeux.

— Soit, Natalis ! Vous l’emmènerez donc dans votre Picardie, que je n’ai jamais vue, et que j’aimerais tant à voir ! Espérons que ma mère, à défaut du bonheur, trouvera dans ses derniers jours le repos qui lui est bien dû ! La pauvre femme, comme elle aura souffert ici-bas ! »

Et lui, M. Jean ! n’aura-t-il donc pas eu sa large part de souffrances ?

« Ah ! ce pays ! reprit-il. Si nous avions pu nous y retirer ensemble, Marthe, ma femme, vivant près de ma mère et de moi, quelle existence, et comme nous aurions vite oublié nos peines ! Mais ne suis-je pas fou de songer à ces choses, moi, un fugitif, un condamné que la mort peut frapper à chaque instant !

— Minute, monsieur Jean, ne parlez pas ainsi ! On ne vous tient pas encore, et je serais bien surpris si vous étiez homme à vous laisser prendre !

— Non, Natalis !… Non, certes !… Je lutterai jusqu’au bout, n’en doutez pas !

— Et je vous y aiderai, monsieur Jean !

— Je le sais ! Ah mon ami ! que je vous embrasse ! C’est la première fois qu’il m’est permis de serrer dans mes bras un Français sur la terre de France !

— Ce ne sera pas la dernière ! » répondis-je.