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Peut-être aurions-nous pu nous porter au sud, du côté de Sarrelouis, la ville française la plus rapprochée. Mais c’était risquer de tomber dans la masse des Prussiens qui allaient renforcer le blocus de Thionville. Aussi parut-il préférable d’allonger notre route, afin d’éviter cette dangereuse rencontre.

En somme, nous n’étions plus qu’à quelques lieues du pays, sains et saufs, tous ! Que nous y fussions arrivés, M. et Mlle de Lauranay, ma sœur et moi, cela n’avait rien de bien extraordinaire, sans doute ! Pour Mme Keller et son fils, on ne peut dire qu’ils avaient été favorisés. Lorsque Jean Keller nous avait rejoints dans les montagnes de la Thuringe, je ne comptais guère que nous pourrions nous serrer la main sur la frontière de France !

Toutefois, il importait d’éviter Saarbrük, non seulement dans l’intérêt de M. Jean et de sa mère, mais aussi dans le nôtre. Cette ville nous eût plutôt offert l’hospitalité dans une prison que dans un hôtel.

Nous allâmes donc loger dans une auberge, dont les hôtes habituels ne devaient pas être de première qualité. Plus d’une fois, l’aubergiste nous regarda d’un air singulier. Il me sembla même, qu’au moment où nous partions, il échangeait quelques propos avec des individus attablés au fond d’une petite salle et que nous ne pouvions voir.

Enfin, le 4, au matin, nous prîmes le chemin qui passe entre Thionville et Metz, quitte à nous rabattre, s’il le fallait, sur cette grande ville que les Français occupaient alors.

Quelle route pénible à travers cette masse de petits bois, disséminés sur tout le pays ! Le pauvre bidet n’en pouvait plus. Aussi, vers deux heures après midi, au bas d’une longue côte qui montait entre d’épais taillis, bordée parfois de champs de houblon, dûmes-nous mettre pied à terre, tous, moins Mme Keller, trop fatiguée pour quitter la patache.

On marchait lentement. Je tenais le cheval par la bride. Ma sœur allait près de moi. M. de Lauranay, sa demoiselle et M. Jean